Chronique

Mario Batkovic

Mario Batkovic

Mario Batkovic (acc)

Label / Distribution : Invada Records

Parmi la pléthore de disques qui sortent chaque mois, il est parfois des albums qui échappent à nos oreilles (pourtant supposées attentives), noyés qu’ils sont au milieu de noms ronflants aux CV majuscules. Ainsi en va-t-il des petites mains de la musique, pas encore assez connues pour susciter l’intérêt immédiat des chroniqueurs de tout poil. On passe certainement à côté de quelques merveilles. Mais c’est comme ça, on ne peut tout écouter, tout chroniquer. Pas assez de temps, de force ou de motivation. On en repêche certains parfois, un peu par hasard, plusieurs mois (ou années) après leur sortie, avec je ne sais quelle intention divine de vouloir les sauver des gigantesques montagnes bancales de disques laissés pour compte.

Cette histoire est celle de l’album de l’accordéoniste Mario Batkovic (sobrement intitulé de son patronyme), repêché plus d’un an après sa sortie. Et le moins que je puisse dire, c’est que le hasard a bien fait les choses, car cet album est magnifique de bout en bout. Un détail m’a interpellé au moment de jeter sur lui mon dévolu : le fait qu’il soit enregistré en solo. Certes, on peut tout faire avec un accordéon. On a l’habitude de dire qu’il est un orchestre miniature. De là à se lancer dans le solo intégral... il faut oser. Mais Mario Batkovic n’a pas froid aux yeux.

Né en Bosnie il y a bientôt quarante ans, il vit en Suisse depuis l’âge de onze ans. Il découvre l’accordéon à l’âge de quatre ans et l’apprend en autodidacte. Pour cet album, Mario Batkovic voulait que « l’instrument respire, que les bruits d’air et les bruits de claquement soient audibles. Ainsi, les handicaps de l’accordéon peuvent être transformés en bénéfices, créant un nouveau son ». Ne rien cacher, ne rien gommer. État brut. Le son, rien que le son. Pas d’électronique ou d’effets de pédales ; pas de post-production ; tout est fait maison, à la main, acoustique. Tout vient de l’accordéon lui même. Batkovic tire parti de toutes les capacités de son instrument, l’utilisant tantôt de manière percussive tantôt de façon plus classique, jouant sur les hauteurs et le volume des notes. Il en tire une immense variété de sons : cliquetis métalliques, respiration du soufflet, percussions, craquements, basses profondes. Une gamme impressionnante de timbres qui sert à merveille ses compositions.

Batkovic définit sa musique comme « un mélange de baroque, de contemporain, de kitsch, d’obscur, de profond, de doux, de triste. Juste de tout ce dont la vie est faite ». Son écriture, linéaire et minimaliste, dans la lignée des grands maîtres de la musique répétitive, est très cinématographique. Ses compositions racontent des histoires. Elles nous embarquent dans un imaginaire foisonnant et mélancolique, dans des ambiances aux titres latins évocateurs (le décadent « Quatere », l’inquiétant « Gravis », le parcimonieux « Restrictus » ou le chimérique « Somnium »).

Avec ce premier album éponyme, Mario Batkovic nous offre 57 minutes d’un bonheur organique et intense. Il en profite pour dépoussiérer, avec beaucoup de fraîcheur et d’inventivité, un instrument trop souvent raillé par le grand public. C’est pourtant fou tout ce qu’on peut faire avec un accordéon.

par Julien Aunos // Publié le 11 novembre 2018
P.-S. :

Mario Batkovic sera en concert à Paris, au Centre culturel suisse, le 15 novembre à 20 h dans le cadre du festival Jazzycolors dont Citizen Jazz est partenaire.