Matylda Gerber, de l’intuition à l’improvisation

Matylda Gerber © Bastek Łąkas

Nous allons donc commencer à présenter notre héroïne par des aspects non musicaux. Matylda Gerber a obtenu une maîtrise en finance et en psychologie, puis un doctorat en sciences sociales à l’École d’économie de Varsovie, l’une des plus prestigieuses universités polonaises. Son domaine d’intérêt est l’intuition et son rôle dans la prise de décision. Il s’agit d’un sujet de recherche scientifique peu évident, mais qui est utilisé dans de nombreux domaines à travers le monde. Au cours de sa carrière, Matylda Gerber a notamment participé à des recherches sur le travail des analystes criminels de la police, des médecins, des entrepreneurs et des investisseurs en bourse.

Le livre « Intuition. Guide pour ceux qui aiment réfléchir » résume ses activités dans ce domaine. Et à ce stade, on peut se demander pourquoi la musique, pour une personne qui a tant à faire dans un autre domaine ? « Je n’ai jamais fréquenté d’école de musique, mais j’ai pris des cours de piano dès l’enfance. J’ai même pris des cours de composition. Le saxophone, en revanche, n’est arrivé qu’à l’âge de 18 ans ». Cependant, bien qu’elle se soit impliquée dans des ensembles au fil du temps, la musique est restée longtemps à l’arrière-plan. Le déclic s’est produit lors d’un séjour d’études à Londres qui, sur le plan artistique, lui a permis d’explorer la riche scène musicale de la ville, de participer à des jam sessions et de rencontrer Sarathy Korwar, avec qui elle a collaboré sur scène.

« À un moment donné, les réactions positives à mon jeu étaient si fréquentes que je ne pouvais plus les ignorer. À mon retour en Pologne, j’ai décidé de développer mon jeu et j’ai pris conscience de la soif de musique qui était en moi ».
Elle a été invitée à se produire lors du concert d’ouverture du festival Jazztopad à Wrocław, ce qui l’a considérablement stimulée.

Aujourd’hui, elle joue principalement dans deux groupes : Ślina (La salive) et sneaky jesus. Le quartet d’improvisation Ślina, en plus de sa propre activité, enregistre et joue avec Mikołaj Trzaska, figure emblématique de la scène improvisée polonaise et européenne. L’histoire de cette collaboration a commencé lorsque Matylda a cherché à acheter un saxophone baryton. Un saxophone d’occasion, pour avoir un meilleur son. La tâche n’est pas aisée : il y a généralement une liste d’attente. La vente de l’instrument par Mikołaj Trzaska en 2018 n’a pas échappé à cette règle, mais après leur conversation et « une sorte d’audition », le baryton est allé à Matylda. « J’avais déjà testé d’autres saxophones, mais je n’aimais pas leur son. Là, j’ai tout de suite senti que c’était ce que je cherchais. Et je l’apprécie constamment ». Trzaska était curieux de voir ce que l’instrument allait donner. Il a tellement aimé la musique de Ślina qu’il a proposé d’aider le groupe à sortir un album. Rapidement, ils ont décidé de faire des concerts et d’enregistrer. En 2024, on doit s’attendre à une sortie sous le nom de Ślina Trzaska et plusieurs heures de matériel déjà enregistré attendent d’être exploitées.

sneaky jesus - live in Zak, Gdansk © OBRAZOWO

Mikołaj Trzaska : « Lorsque j’ai rencontré Matylda pour la première fois, j’ai été surpris de la voir saisir l’instrument et en jouer immédiatement très fort, avec un son ouvert et puissant. Comme moi, Matylda a commencé à jouer du saxophone à un âge relativement mûr et à explorer l’instrument avec un esprit déjà mature. Et je suis ravi de son évolution, de son jeu toujours plus intéressant et en amélioration. Bien sûr, elle est encore à la recherche de sa propre expression, qu’elle développe en permanence. Mais elle est consciente de la façon dont cela fonctionne. Elle est capable de découvrir de nouvelles choses pendant le concert, pendant le processus créatif. Le saxophone ne lui fait pas peur. Elle joue du ténor, de l’alto et du baryton. Elle sait de quoi elle parle en musique et pourquoi elle raconte les choses de telle ou telle manière. Dans son cas, on a le sentiment qu’elle raconte sa propre histoire à travers la musique. Elle sait jouer, mais elle sait aussi écouter ce qui se passe autour d’elle sur scène. Elle utilise des modes d’expression différents dans chaque groupe. Elle a le don de trouver des mélodies simples et de les développer à l’extrême. Mais d’un autre côté, elle a aussi la patience et la capacité à rester sur le premier son qui sort. On trouve en elle, à la fois la prédation et la tendresse, qui apparaissent de plus en plus profondes. Et leur force est la sincérité de ce message ».

Ślina se concentre sur l’improvisation. Mais Matylda avait aussi besoin d’autres défis. D’où l’arrivée de sneaky jesus. Le fait de scinder son activité entre deux groupes est une décision consciente et réfléchie. « J’ai toujours pensé que ce serait cool de travailler avec un groupe où je pourrais composer. Nous avons fait des jam sessions ensemble et il s’est avéré que nous nous comprenions bien. Les deux groupes sont complémentaires pour moi ».

sneaky jesus a déjà deux albums à son actif, tous deux sortis sur le label londonien Shapes of Rhythm. Le groupe étonne et séduit par la légèreté et la liberté avec lesquelles il passe d’une convention à l’autre et d’un style à l’autre. C’est une musique qui respire la fraîcheur. La diversité dans le récit musical est attirante, tout comme la fluidité pour passer de la délicatesse à la frénésie, de la mélodie aux rythmes lourds et bruyants.

Matylda Gerber est également membre d’un orchestre improvisé, le Wrocław Improvised Orchestra, qui rassemble improvisateurs venus de différents horizons musicaux. L’orchestre organise des concerts au cours desquels les groupes sont formés de manière aléatoire. L’orchestre au complet donne également des concerts sous son nom. Tout ce travail a déjà été récompensé par deux prix importants et prestigieux décernés à Matylda Gerber en 2023. Dans le sondage des critiques mené par le magazine Jazz Forum, elle a remporté la catégorie Étoile montante et a été honorée du même titre lors du gala de l’association Jazz Melomani.