Scènes

Montréal est OFF

en dehors des sentiers balisés


Bruno Tocanne est un batteur français qui aime multiplier les rencontres, notamment avec le Québec. Il a participé à l’OFF et nous en parle avec ferveur et colère. Il va bientôt sortir un nouvel album avec Lionel Martin (sax) et Benoît Keller (b). Visitez son site ainsi que le site de l’OFF

Il y a des musiciens qui se bougent de l’autre côté de l’Atlantique ! J’en veux pour preuve l’organisation, depuis trois ans du OFF Festival de Jazz de Montréal, organisé par quatre musiciens québécois (Jean Vanasse, François Marcaurelle, Normand Guillebeault et Pierre Saint-Jak). Ce festival, organisé dans plusieurs lieux à Montréal, a lieu aux mêmes dates que le Festival International de Jazz de Montréal (FIJM), le plus gros des festivals de jazz en Amérique du Nord. Seulement voilà ce FIJM est devenu, comme beaucoup de « gros » festivals de jazz (y compris en France) une sorte de « foire commerciale », plus préoccupée par les retombées économiques que par un projet artistique.

La réaction des musiciens de jazz québécois, toutes tendances confondues, a donc été extrêmement positive puisqu’ils ont décidé de mettre sur pied un festival offrant aux musiciens (en particulier aux musiciens québécois) des conditions décentes pour se produire à Montréal. Il faut noter que s’ils étaient tout de même (un peu) présents dans la programmation du FIJM, leurs concerts avaient lieu l’après midi en plein air et devant un public de promeneurs n’ayant strictement rien à faire de ce qui se passe sur la scène… Ceux qui ont déjà eu l’occasion de jouer au FIJM (hors salles de concerts réservées aux « têtes d’affiche ») ou de s’y promener comprendront facilement de quoi je parle.

L’OFF quant à lui, pour cette 3° édition, s’est développé dans 6 lieux allant de 400 places (le Lion d’Or, magnifique ancienne salle de danse des années 40, dans laquelle un certain Charlie Parker a eu l’occasion de se produire) à une centaine de places (L’Alizé, le Cheval Blanc, Le Va et Vient, etc.). Tous ces lieux soignant particulièrement l’accueil des miusiciens et du public, 61 concerts et plus de 300 musiciens entre le 27 juin et le 7 juillet ! Ce par la seule volonté d’une « bande » de musiciens, voilà de quoi nous faire rêver, non ? « Plus éclectique que jamais, la programmation de cette 3° édition reflète les différentes tendances du jazz et de la musique improvisée à Montréal et ailleurs… Sans oublier les incursions du côté du verbe puisque cette année encore l’OFF présente des spectacles alliant musique et poésie…. Enfin le Festival a le bonheur d’accueillir des amis musicien(nes) de France, d’autres régions du Canada et quelques artistes étatsuniens… » annonce le programme du festival.

Pour la première fois était présenté un « plateau » de musiciens français, avec le soutien du Consulat de France au Québec, de la Spedidam et, surtout, grâce à notre ténacité, Jean Vanasse à Montréal et moi-même en France (un an de mails et de téléphone entre lui et moi). L’été dernier nous avions été accueillis en duo avec Catherine Delaunay et nous avions invité Jean Vanasse en duo à Lyon en décembre 2001. Pour cette saison 2002, Denis Badault, Jean-Philippe Viret, Alain Blesing, Lionel Martin, Senem Diyici, Benoît Keller, le comédien Pasquale d’Inca et moi-même avons eu l’immense plaisir d’aller à la rencontre des musiciens et du public québécois dans de très bonnes conditions. Le tout devant un public chaleureux !

Tous les musiciens concernés avaient accepté l’idée de faire des concert-rencontres entre français et québécois. C’est ainsi que nous avons pu découvrir pour certains, retrouver pour d’autres, le vibraphoniste Jean Vanasse et le saxophoniste Richard Savoie (avec Jean-Philippe Viret et moi-même et, en ce qui concerne Richard Savoie, également avec Senem Diyici et Alain Blesing), le contrebassiste Normand Guillebeault et le batteur Christian Lavergne (avec Denis Badault), le clarinettiste Mathieu Bélanger (Hommage à Roland Topor avec le comédien Pasquale d’Inca, Denis Badault, Jean-Philippe Viret, Lionel Martin, Alain Blesing…) Tous ces concerts, étalés sur plus d’une semaine, ont permis des rencontres musicales et humaines hors du commun.

Cependant on peut malgré tout regretter une fois encore l’absence de soutien de la part des institutions culturelles en France. Sans l’aide de la Spedidam (société civile, faut-il le rappeler) et l’investissement des musiciens, ce projet n’aurait jamais pu aboutir. Tous les autres dossiers envoyés ont été refusés. Je trouve cela choquant de la part d’institutions qui devraient relever du service public et de l’aide aux projets. Est-ce parce que ce projet émane de musiciens ? Est-ce par peur de froisser le FIJM ? Est-ce parce que nous n’avons pas fait d’études de marché ? Est-ce parce que nous ne vendons pas assez de disques ? (c’est en substance certains des arguments qui m’ont été avancés). Et, pendant que j’y suis : pourquoi certains journaux spécialisés (en France) ont-ils fait l’impasse sur ne serait-ce que le programme de ce festival, alors même qu’ils informaient largement leurs lecteurs sur celui du FIJM ? Y aurait-il des accords dont nous ignorons les clauses ? Leur a-t-on demandé de ne pas en rendre compte, comme cela a été le cas à Montréal pour un certain quotidien ? Si l’OFF a pu bénéficier cette année du soutien du quotidien québécois Le Devoir, l’autre quotidien (La Presse) n’a quant à lui pas écrit une ligne sur cet événement… On nage en plein délire !

Si je tenais surtout à parler de cet OFF festival c’est qu’ il me semble exemplaire du type de réaction que le milieu du jazz et des musiques improvisées devrait avoir face à cette « marchandisation globale » dans laquelle on souhaite nous faire sombrer.