Scènes

Stage NOLA – 18 octobre 2012, quatrième jour

Encore une journée exceptionnelle pour un musicien, ici à New Orleans !


Mais commençons déjà par la veille, puisque, à l’heure où je terminais le troisième volet de ce petit journal, une sortie à Treme était dans l’air. La nuit tombée, nous y sommes allés avec une petite partie du groupe, l’autre moitié s’orientant vers un concert auquel participait le batteur Walter Harris, l’intervenant du jour.

Treme est donc un quartier noir de la ville rendu célèbre par la série du même nom et habité par de nombreux musiciens. En arrivant en taxi (gros son hip hop dans la caisse, yeah), on découvre les « projects », sorte d’immeubles HLM en brique rouge, très caractéristiques d’une partie de Treme. Jérôme m’explique que la ville cherche à les détruire car il sont le symbole du côté très pauvre de New Orleans. Le traumatisme Katrina est visiblement un prétexte idéal pour réaliser ces grands travaux de nettoyage.

Quelques mètres plus loin, nous croisons les grands camions de la production de Treme. La série emploie beaucoup de monde ici, dont de nombreux musiciens. Elle a eu le mérite aussi de remettre un peu sur le devant de la scène ce quartier historique de New Orleans. Avec l’inévitable revers de la médaille : les touristes débarquent parfois par cars entiers, et les prix des consommations dans quelques lieux cultes comme le Candle Light Lounge ont grimpé en flèche. À Treme, même si je n’ai pas encore vu la série, j’ai vraiment l’impression d’être dans un film américain. Plus tard, Raphaël m’expliquera que beaucoup de films hollywoodiens se tournent ici, paradoxalement. Une histoire de taxe qui donne à la Louisiane une forte attractivité en la matière.

J’apprends dans le taxi que nous nous rendons en fait à une « block party ». J’imagine à peu près ce dont il s’agit, en me référant au film du même nom (hautement recommandable d’ailleurs !). En gros, disons qu’il s’agit d’une fête de quartier. Le décor est parfait : la rue du Candle Light Lounge est coupée à la circulation, et une scène a été installée au fond. Les lights sont un peu pourries, comme la sono d’ailleurs (pas vu l’ombre d’un sonorisateur derrière la console !), mais l’essentiel n’est pas là. Sur scène, le Treme Brass Band donne à danser et à vibrer. Les musiciens font le spectacle, notamment le leader, un trompettiste/chanteur dont le nom m’échappe. La rythmique (sousaphone, grosse caisse et caisse claire) est tenue par des papys grooveurs dont le feeling sonne on ne peut plus authentique et local. Le sousaphoniste, qui pose le groupe sur du velours, me donne quelques idées quant à la manière d’aborder certaines lignes de basse avec MixCity.

La musique nous donne en tout cas un smile immédiat, et je réalise qu’on est vraiment au cœur de New Orleans. Car le spectacle est aussi dans le public ! Une bonne partie du quartier est là, et tout le monde danse, les enfants comme les plus anciens. Les grosses mamas (pardon de véhiculer ce cliché mais venez et vous verrez !) font vraiment le show, et je sens qu’ici la musique est quelque chose qui se vit spontanément, qui fait du bien, qui est au cœur de l’existence de chacun. Je me sens soudain bien loin de nos raideurs européennes… Le concert du Treme Brass Band, qui est en fait là pour fêter les deux cents ans du quartier, se termine par le morceau générique de la série.

Tout ça nous a mis en appétit et nous finissons par trouver une assiette à 5$ de beans & rice, soit des haricots rouges en sauce avec du riz. Plat du pauvre, on ne peut plus local. J’aime bien, et comme tout ça a un goût de revenez-y, j’en commande un autre. Le cuistot, surpris par mon appétit, m’offre généreusement la deuxième assiette. On échange quelques mots en français pour déconner, tout ça est très cool… La party touche à sa fin ; Raphaël nous emmène voir si de bons concerts se profilent sur Frenchmen. On fait le tour des groupes qui jouent, et finissons par boire un coup devant le groupe Upstarts à Maison (c’est le nom du club). C’est ici que nous jouerons samedi soir vers minuit avec MixCity. Je sens que ça va être quelque chose ! De retour à l’India House, nous retrouvons les copains qui sont allés voir Walter jouer. Eux aussi sont ravis, et chacun fait regretter à l’autre de ne pas l’avoir suivi. Il y a tellement de choses à vivre ici !

Ce matin, le groupe se lève comme un seul homme vers 7h30. Tout le monde a l’air bien remis du décalage horaire et du voyage. Nous arrivons donc en forme au workshop, qui est aujourd’hui animé par Kirk Joseph. Kirk est sousaphoniste. C’est aujourd’hui un musicien emblématique de New Orleans. C’est notamment un des fondateurs du Dirty Dozen Brass Band, un groupe qui aujourd’hui tourne dans le monde entier. Kirk arrive donc avec son sousaphone… Sacré engin ! Nous nous branchons, et il se lance tout de suite. Il me regarde et me dit de capter ce que lui joue. Après tout, nos instruments ont la même fonction : la basse ! Je galère un peu à repiquer certaines phrases, et une fois que j’ai pigé, je comprends tout de suite que c’est un travail très intéressant. L’articulation des lignes développées par Kirk m’oblige à chercher certains doigtés pour sonner vraiment comme un tuba (ici on dit « tuba » pour évoquer le sousaphone). Je sens que la journée va être d’enfer.

Les organisateurs du stage ont invité Kirk à venir nous voir deux fois au Chickie Wah Wah. Cette première journée (l’autre aura lieu mardi, et Kirk viendra avec son collègue batteur Terence Higgins) est donc consacrée à la musique de MixCity, en accord avec Jean-Patrick, compositeur du groupe. Kirk nous fait jouer un premier morceau, et visiblement ça lui plaît ! On commence le travail en mettant les mains dans le cambouis, partie par partie. Il est à l’écoute de tout, et nous fait prendre un peu de recul par rapport aux morceaux, aux histoires qu’on raconte… Il suggère des idées aux cuivres, veut que nous donnions plus de relief aux parties solo, nous dit de jouer avec davantage de conviction… Très impliqué, doué d’un sens inné du groove et d’un métier qu’on imagine fantastique, il nous fait bosser comme jamais, et nous voyons avec lui quatre morceaux du répertoire dans la journée. Il ne nous fait pas changer la musique écrite, mais la manière dont nous finissons par la jouer, sous son influence et ses indications, fait que ce n’est plus la même ! Ce sentiment est partagé par tous, et je sens que ce travail nous sera plus que précieux à l’avenir. Kirk est en tout cas un exemple de musicien, généreux, ouvert, inventif… Nous sommes vraiment contents de le revoir mardi, avec cette fois une journée consacrée à sa musique. Il nous dit avec beaucoup d’humour de nous tenir prêts et d’arriver affûtés !

En le quittant, Kirk nous dit qu’il va à Louis Armstrong Park voir des potes jouer. Il y a là-bas un grand concert gratuit, comme tous les jeudis pendant deux mois (le festival « Jazz in the Park »). Tout le monde est chaud pour le retrouver là-bas, et après avoir posé nos instruments à l’India House, nous prenons la direction du centre ville.
Le parc Louis Armstrong est un lieu que j’étais impatient de découvrir. Autrefois, on l’appelait Congo Square. C’est là que quelque part, toute l’histoire de la musique a commencé à New Orleans. Sur le territoire des Etats-Unis, Congo Square a fini par devenir, vers je pense le début du XIXème siècle, la place où tous les dimanches, les esclaves noirs pouvaient se retrouver, chanter, jouer les rythmes de leurs pays d’origine, pour la plupart africains (d’où le nom)… Ces rassemblements étaient formellement interdits partout ailleurs. Mais ici les esclaves ont connu un début d’émancipation qui fait aujourd’hui de New Orleans une ville à part aux Etats-Unis. Sans Congo Square, le jazz aurait-il existé ?

C’est donc tout ému que je découvre l’endroit, en fin d’après-midi. Au milieu du parc, la sono envoie déjà le funk fiévreux de Corey Henry et son Treme Funktet. Il y a beaucoup de monde, et je retrouve l’ambiance quartier d’hier. Tous les âges, tous les styles et toutes les classes sociales se mélangent. De nombreux anciens sont là, assis sur leurs chaises pliantes, en balançant la tête au rythme de la musique. Beaucoup d’autres dansent, et c’est toujours aussi joyeux. Les immenses barbecues crachent la fumée des saucisses, et de nombreux stands proposent bijoux, t-shirts, affiches et sérigraphies… La sonorisation n’est pas très bonne, mais je me prends au groove du groupe de Corey Henry. Ça balance quand même super bien. Un moment, deux chefs Black Indians montent sur scène et ça me reconnecte avec notre rencontre d’hier. Je pige le principe de la chanson et retrouve un peu tous les trucs évoqués et enseignés par Big Chief Otto Feyo. J’aime vraiment ces chants et rythmes des Black Indians.

A la pause, je vois que les potes sont déjà en train de penser à manger ; on trouve un stand qui propose une belle assiette de « pulled pork ». Pas mal ! Bon, c’est juste la troisième fois que je mange des haricots rouges en trois jours… ! Le deuxième groupe de la soirée est celui de John Boutte. Il est accompagné notamment par le batteur Shannon Powell, qui est, me dit-on, très connu. Vu le drive du gars, ça ne m’étonne pas ! John Boutte est, lui, un chouette crooner. Quelle voix ! Au début, la sono est vraiment désastreuse, mais le son s’améliore un peu et le groupe prend son rythme de croisière. Tout y passe, de la soul, du blues, du rhythm’n blues, des ballades magnifiques (quelle version de « Hallelujah » !) et puis l’incontournable de John Boutte, le générique de la série Treme ! C’est drôle, car hier j’entendais le même morceau joué par le Treme Brass Band ; j’apprends en fait que c’est Boutte qui l’a composé et qui le chante dans la série. L’ambiance est à son comble et le concert se termine là-dessus. Alors qu’on a perdu Pierre et K20, partis en ville, certains se disent qu’il serait chouette d’aller voir le concert du Stooges Brass Band, qui joue vers 22h dans un autre quartier. Walter Ramsey, le leader de ce brass band très en vogue ici sera notre intervenant de demain.

Un peu touché par cette nouvelle journée bien remplie, je décide de rentrer avec Alain à l’hôtel, et d’écrire ces quelques lignes. Demain soir, après le workshop, nous jouerons un set au Chickie Wah Wah, ce sera le premier de nos trois petits concerts ici ! Le week-end s’annonce bien.

Stay tuned !