Scènes

Delbecq, l’art de la scène et des contraires

Le quartet de Benoît Delbecq livre une prestation tonique sur la scène du Petit Faucheux.


Benoît Delbecq Quartet, photo Rémi Angéli

Cinq ans après la sortie d’un second disque, Benoît Delbecq et son quartet s’offrent une légitime reprise en scène de quelques dates et permet au public de découvrir l’assise de ce groupe franco-américain et la tonicité en live d’une musique unique et onirique.

C’est avec le souvenir de la prestation du groupe aux Rendez-vous de l’Erdre que nous gagnons la salle du Petit Faucheux à Tours, ce 9 février. En 2019, dans la cité nantaise, depuis les bords d’une scène en rien évidente car ouverte aux quatre vents, le quartet avait su imposer sa maîtrise du son et dépasser les difficultés à force d’un set tonique. Dans le confort de la salle du Faucheux, on pensait assister au retour des ambiances feutrées chères au pianiste. Il n’en fut rien.

Benoît Delbecq © Rémi Angeli

Benoît Delbecq entre, hilare, visiblement heureux d’être entouré de ses amis américains. Mark Turner au saxophone, John Hébert à la contrebasse et Gerald Cleaver à la batterie. Ils ont joué à Sons d’Hiver quelques jours auparavant, devant un parterre rempli. Ce soir, à Tours, parmi le public généreux, on compte nombre de musiciens. Le line-up aligné ce soir est inratable, il est vrai. Mais leur valeur se justifie aussi par leur manière de faire corps avec l’esthétique du pianiste.

Le challenge est de taille car la musique de Delbecq est tout sauf simple. Au-delà de la complexité technique dont ils font leur affaire (ce sont après tout des ouvriers spécialisés), ils parviennent surtout à en saisir l’esprit. Cette musique oblique, qui semble s’évaporer à chaque note, nécessite une vigilance de tous les instants. Et la durée de vie de ce quartet (le premier disque date de 2018), de même qu’une connivence au long cours (Mark Turner joue sur Phonetics et John Hébert a réalisé deux disques en trio avec Delbecq et Gerald Cleaver) est la meilleure garantie d’un groupe mature dans ses intentions.

La section rythmique occupe une part de notre attention : la basse et la batterie sont très présentes. Par un jeu détourné, là encore, non convenu, non attendu, plaçant des accents à des endroits surprenants, elle apporte un prisme supplémentaire et déroute l’oreille. Au premier sens du mot, d’ailleurs, puisqu’elle lui fait prendre une autre route, orientant autrement la direction musicale. À force de suivre le travail de Delbecq depuis une vingtaine d’années, on finit par en être un familier. Par sa présence active et son interaction subtile, la section rythmique pousse le leader à jouer une partie plus nerveuse qu’à l’accoutumée. Quelques phrases au piano, pleines de virages maîtrisés, en témoignent ; l’ensemble prend forme et donne à entendre un collectif musclé étrangement agencé : les pieds profondément ancrés dans un sol meuble et une tête dans des ciels qui sont comme autant de miroirs brisés. Le quartet s’ouvre et se révèle fauve aux muscles tendus quand le disque le montre félin domestiqué. Au milieu pourtant, et ce déséquilibre maîtrisé apporte un sens supplémentaire, le saxophone mesuré d’un Mark Turner imperturbable travaille avec soin des phrases sibyllines.

En huit morceaux, toujours étrangement chantants, le travail de compositeur de Delbecq se révèle ainsi aussi solide que son monde onirique est évanescent. L’art des contraires, l’équilibre des formes, la musique des sphères.