Scènes

Quand surgit la voix d’Iva

Iva Bittovà en concert au Centre Tchèque de Paris


© Adela Sundby

En ce vendredi soir du 15 mars, veille de printemps, j’ai laissé un temps les romans de Milan Kundera et les nouvelles d’Ota Pavel supplier sur mon étagère et j’ai filé tout droit vers Iva Bittovà, actrice et chanteuse, grande figure de la scène tchèque contemporaine, qui était accompagnée ce soir-là par le groupe de free norvégien-tchèque NOCZ. Ils se produisaient lors d’un convivial show-case dans le charme discret du Centre Tchèque et de son Paris-Prague Jazz club, situé dans le très chic quartier « Rive Gauche » de Paris.

Iva Bittovà Quartet © Adela Sundby

La silhouette d’Iva Bittovà, belle brune digne et altière, est apparue, sereine et paisible. Un discret coup d’œil aux musiciens et la musique était lancée. Entre les improvisations au saxophone de Radim Hanousek qui répond à la trompette de Didrik Ingvaldsen, les envolées rythmiques de la batterie de Valentin Duit et le velouté affirmé de la contrebasse de Marian Friedl, la voix et le violon d’Iva ont surgi. Un violon libre et subtilement atonal, interprété par petites touches, une voix aux modulations de fréquences, parfois presque à l’unisson des instruments : inattendue, puissante, chuchotée parfois, étonnante, primale. Dénuée de tout habillage de mots. Chant en diamant brut.

Je me suis peu à peu laissée envoûter par les variations de cette étonnante chanteuse qui déployait la surprenante étendue de son champ musical : des sons gutturaux, des croassements, des sons graves à très aigus. Des supplications s’alignent et se succèdent, surgissent et s’effacent par intermittence au gré de l’inspiration et du jeu des instruments, s’exprimant tour à tour, en solo ou de concert.

C’est une femme libre, qui donne à écouter un chant hors norme, essentiel, orné de sons du fond des âges, en écho original et originel à une mémoire gardée et transmise dans le secret et le mystère d’une certaine féminité tout en puissance et retenue.

Aller écouter Iva Bittovà c’est un peu se frotter à l’esprit sorcier d’une musicalité sans cesse réinventée. C’est retrouver le temps de ce concert, par sa présence magnétique, toutes les femmes libres, immémoriales, indomptées. Ces « Femmes qui courent avec les loups », comme celles évoquées et célébrées dans l’essai homonyme, paru en 2001, de Clarissa Pinkola-Estés, psychanalyste et écrivaine américaine, et qui font date dans l’évolution de l’identité féminine contemporaine.