Chronique

Anna Webber

Shimmer Wince

Anna Webber (ts, fl), Adam O’Farrill (tp), Mariel Roberts (cello), Elias Stemeseder (cl), Lesley Mok (dms).

Label / Distribution : Intakt Records

Anna Webber est un musicienne habituée aux systèmes et aux langages. Déjà, avec Idiom et surtout Clockwise, la flûtiste avait éprouvé son goût pour les mécaniques subtiles et les motifs répétitifs, comme autant d’engrenages en mouvement. Écriture fine et raffinée pour les petites formations comme les grands ensembles [1], il fallait un orchestre taillé sur mesure pour que Webber puisse aller plus loin dans la recherche ; bonne connaisseuse de la scène new-yorkaise (on lui doit notamment la découverte de Joanna Mattrey), elle a su rassembler un brillant quintet pour proposer Shimmer Wince, premier album d’un orchestre appelé à durer. À ses côtés, des fidèles comme le trompettiste Adam O’Farrill, membre de l’Amaryllis de Mary Halvorson ou la violoncelliste Mariel Roberts qui partage sa carrière entre musique contemporaine et musiques improvisées. « Swell », qui ouvre l’album, est un manifeste de la musique de Webber, constituée de strates articulées et de glissements imperceptibles qui en forgent la grande solidité.

Pour construire ses morceaux, Anna Webber se sert de l’Intonation Juste (notée JI), un ancien système d’accords [2] né au Moyen-Âge. De plus en plus, la JI est un terrain de jeu contemporain, les minimalistes comme tous les musiciens qui s’intéressent à la microtonalité s’emparent de ce système. Ici, c’est la relation entre Adam O’Farrill et Anna Webber qui est mise en avant, le violoncelle servant de base à l’orchestre, ainsi qu’on l’entend dans les deux parties de « Periodicity ». Cette mécanique est contrebalancée par deux électrons libres qui donnent à Shimmer Wince son aspect si particulier : il y a d’abord la batterie de Lesley Mok qui fourbit toutes sortes de grooves cabossés et de boucles en ruptures. Et puis les synthétiseurs de l’Allemand Elias Stemeseder, qui transporte souvent cette musique dans l’étrange et gomme parfois son aspect anguleux.

On avait découvert Stemeseder avec Christian Lillinger ou Jim Black ; il est ici au cœur d’un travail collectif époustouflant. « Squirmy » est sans doute le morceau où les claviers sont incontournables, faisant naître des sons singuliers entre flûte et trompette. Ce qui aurait pu n’être qu’un exercice de style quelque peu rébarbatif devient avec Anna Webber un passionnant jeu de piste au milieu des tonalités. Shimmer Wince confirme l’importance de la musicienne dans la jeune garde étasunienne.

par Franpi Barriaux // Publié le 31 mars 2024
P.-S. :

[1Son orchestre co-dirigé avec Angela Morris est à écouter d’urgence, NDLR.

[2Voir notre interview.