Scènes

Anthony, Susana et Harry à Porto

Quelques images sur la scène jazz portuane


Susana Santos Silva au Soliloquios

Si Lisbonne accueille le fameux festival Jazz em Agosto et l’excellente maison de disques Clean Feed, il ne faut pas oublier Porto lorsqu’on pense jazz et Portugal. La ville escarpée propose aux amateurs de musiques improvisées quelques très bonnes scènes où l’on peut faire des rencontres mémorables.

Laissons de côté les caves à porto pour touristes britanniques, les clubs de jazz pour touristes japonais et les snacks à francesinha pour touristes français et concentrons-nous sur quelques structures musicales de référence.

En premier lieu, le collectif Portajazz, qui fait figure d’agitateur et de rassembleur pour les musicien.ne.s portuan.e.s impliqué.e.s dans la création musicale.
Cette structure combine les activités de production de concerts, grâce au lieu dédié Sala Porta Jazz (près de la place de la République), de production de disques avec le label Carimbo et un travail de création collective qui rassemble un grand nombre de musicien.ne.s. Chaque année, tout le monde se retrouve en décembre autour du Festival Porta Jazz qui se déroule dans plusieurs lieux de la ville et propose une bonne quinzaine de concerts, avec des groupes européens invités. La chaîne vidéo du collectif est assez fournie et permet d’avoir un aperçu assez précis de ces évènements.

Des festivals, des cycles et des soli

L’un des lieux qui accueillent ce festival Porta Jazz est d’ailleurs la fameuse Casa da Música, un magnifique bâtiment posé en équilibre au bord de la Rotunda da Boavista. Ici, la salle est plutôt dédiée à la musique contemporaine et propose une solide programmation jazz qui colle à l’actualité internationale du genre. Un festival maison Outono em Jazz propose une vingtaine de concerts tout le long du mois d’octobre.

L’association Sonoscopia fonctionne également comme Porta Jazz, avec de multiples activités, mais le champ esthétique est plus orienté vers la recherche et la création sonore. Le festival Colexpla qui se déroule en septembre rassemble quelques-un.e.s des plus aventureux.es musicien.ne.s autour de concerts, d’expositions, d’installations. Le lieu, situé à une encablure de la Casa da Música, propose une série de concerts réguliers, intitulée Microvolumes, qui comme son nom l’indique permet d’écouter une petite formation (du solo au quartet) dans des conditions acoustiques intimes.

Les conditions d’une grande proximité avec la musique en création sont surtout remplies par Solilóquios, un cycle de soli (tout le monde suit ?) orchestré avec passion par Luís Baptista. La grande salle parquetée est au troisième étage d’un très bel immeuble, en plein centre, sur la Praça de Lisboa, faisant face à la Torre dos Clérigos, le point culminant de la ville. Ici, devant une assemblée de quelques dizaines de personnes assises sur des chaises aux pieds sciés qui forment une sorte de gradin, les artistes se produisent sans fard, sans éclairage, sans sonorisation. À quelques mètres seulement de l’auditeur.

Luís Baptista a commencé à organiser ces concerts sur ses propres deniers — à perte dans tous les cas. Les entrées fixées à 10 euros ne permettent pas de payer bien plus que l’artiste. Mais cet enthousiaste défenseur du jazz a trouvé ailleurs les moyens de ses ambitions et il peut proposer ces séries une ou deux fois par mois depuis presque deux ans. On a pu y entendre Ingrid Laubrock, Gonçalo Almeida, Joëlle Léandre, Ernst Reijseger, Rob Mazurek, Susana Santos Silva et Anthony Braxton !

Anthony Braxton en solo au Soliloquios. © Soliloquios

En effet, à l’occasion de son anniversaire, le saxophoniste américain est venu se produire en solo dans ce petit lieu incroyable. Luís Baptista évoque, légèrement dépité, l’absence de relais dans les médias portugais concernant la présence assez rare d’une telle personnalité musicale. Parmi les prochains artistes invités, citons Anja Lechner, Matthew Shipp, Mat Maneri et Nicole Mitchell… on ne se refuse rien !

Ces rencontres sont systématiquement filmées et enregistrées avec du matériel adéquat ce qui permet à Luís de proposer les bandes aux musicien.ne.s dans l’éventualité d’en faire un disque. Les vidéos alimentent ainsi la chaîne YouTube de l’association.

Un parfum de magie noire

Fin septembre, Solilóquios accueillait la trompettiste Susana Santos Silva. Son concert formait une suite d’environ une heure, pendant laquelle elle a progressivement déstructuré sa trompette. Les notes, dans un premier temps, étaient éructées, fortement, puis elle grognait, chuintait et poussait dans les aigus. L’impression d’une colère froide dominait. Petit à petit, elle retirait des éléments : l’embouchure, les morceaux de conduit, les pistons, etc… tout en soufflant et en faisant vibrer l’instrument. La trompettiste, concentrée, les yeux fermés, se balançait légèrement pendant cette mystérieuse disparition de l’instrument. Enfin, c’est sur une flûte métallique qu’elle pousse les dernières stridences aiguës, avec une très forte résonance harmonique comme effet acoustique, ce qui donnait à entendre une pulsation sourde et grave. Un phénomène étonnant, magique, tellurique. Puis elle termine, comme elle a l’habitude de le faire, avec une petite boite à musique mécanique qu’elle ne ménage pas…

En sortant du concert, on prend le frais sur le toit végétal, planté d’oliviers, du Base Bar, en sirotant un cocktail et en écoutant d’improbables remix de MC Solaar. Sur la place de l’université, un groupe d’étudiants en uniforme et leur fameuse cape noire font une étrange cérémonie nocturne. Il est vrai qu’ils ont inspiré, tout comme l’escalier de la librairie Lello — qui se trouve juste à côté de Solilóquios — l’autrice J.K. Rowlings pour l’écriture de Harry Potter.