Chronique

Ben Sluijs Quartet

True Nature

Ben Sluijs (as, fl), Jeroen Van Herzeele (ts), Manolo Cabras (b), Marek Patrman (d)

Label / Distribution : De Werf

On croyait bien connaître Ben Sluijs. Il y avait des années qu’il jouait et enregistrait avec le pianiste Erik Vermeulen, en duo ou en quartette. Il était dans le trio de chambre Ancesthree du bassiste Piet Verbist. C’était un doux lyrique, un héritier de Paul Desmond et de la West Coast, un réfléchi qui lorgnait parfois du côté de la musique contemporaine et dont le précédent album, Flying Circles, montrait la merveilleuse maturité. Et voilà qu’il change tout.

Depuis près de deux ans, Ben Sluijs a un groupe à deux saxophones, sans piano, avec le fabuleux duo rythmique tchéco-sarde Marek Patrman-Manolo Cabras, qui convient à merveille à sa nouvelle orientation : pas de barres de mesure, mais un rythme ; Patrman autant coloriste que rythmicien, Cabras sobre et juste. D’ailleurs, il n’y a pas que Sluijs qui change : bien qu’ayant donné quelques signaux d’alarme, Jeroen Van Herzeele n’a jamais été aussi intéressant. Les deux s’accordent et se complètent à merveille : on a parfois du mal à les distinguer.

True Nature démarre en trombe sans chercher à faire de trait d’union avec le passé. « 3 Times Nothing », un thème bondissant rappelle furieusement l’Ornette Coleman de 1960. Cabras en ostinato sur une note, Patrman propulsif, laissent libre cours d’abord aux mélodies de l’altiste (Ornette n’est-il pas un mélodiste avant tout ?), puis à un dialogue fascinant entre les deux saxophonistes, qui à un moment tombent d’accord comme par miracle, avant de diverger à nouveau. L’influence de Coleman reviendra souvent, dans la joie avec « Happy Widow », dans l’exploration timbrale et le thème langoureux du morceau-titre. En plus de Coleman, John Coltrane est évoqué dans les stridences de « Major Step » et son passage ténor-batterie.

Les arrangements laissent beaucoup de place au jeu à deux anches. D’ailleurs, Sluijs et Van Herzeele ont récement commencé à donner des concerts en duo. Le bien nommé « Follow Your Neighbour », tout en contrepoint et complémentarité, en donne un aperçu.

Tout n’est pas que volubilité, loin de là. On peut citer un moment magique : « Unlike You », ballade sombre et dépouillée dans laquelle Sluijs niche un solo qui passe d’un certain désenchantement à la joie contenue. Un véritable travail d’orfèvre. S’il y a une continuité forte entre l’avant et l’après chez Sluijs, c’est sûrement dans la justesse de la sonorité et du grain, déployée très subtilement ici, mais présente aussi dans les moments les plus extrêmes.

On trouve aussi deux touches d’exotisme (Don Cherry se serait-il glissé derrière Coleman ?). « Mali » est une lente invocation africaine (la prière du crépuscule ?) jouée à la flûte, avant que Van Herzeele ne pousse un cri déchirant qui ne trouve consolation que dans un blues éraillé.

L’album se termine avec « Transformation » et son ambiance de monastère tibétain, qui rappelle « Second Flight » de Flying Circles. Un bourdon distant, des cymbales frappées sur la tranche… une méditation enfle progressivement, puis s’évanouit. Elle semble nous inviter à repenser à ce fantastique album, celui du renouvellement, de la prise de risque, de la surprise.