Chronique

Nathalie Loriers

Silent Spring

Nathalie Loriers (p), Sal La Rocca (b), Hans Van Oosterhout (d)

Label / Distribution : De Werf

Cela fait quatre ans qu’est sorti le dernier album de Nathalie Loriers, Tombouctou. Cette longue absence est un peu étrange, de la part d’une des musiciennes de jazz les plus connues de Belgique. La ré-édition de l’excellent Silent Spring est donc bien venue. Sorti en 1999, il lui avait valu la même année un Django d’Or.

Nathalie Loriers fait preuve ici d’un remarquable talent de compositrice, non pas tant dans l’écriture des mélodies - mémorables -, que par la création des ambiances intenses qui émanent de la construction, très élaborée, ainsi que des parties de contrebasse, des trames harmoniques riches et de l’accent mis sur la rythmique. Les compositions mettent tour à tour en valeur un aspect différent, évitant les redondances. Par exemple, de la découpe rythmique très précise et appuyée de « Recurring Dreams », on passe au morceau-titre, une balade très ouverte, à la limite du rubato.

Sur certains albums, l’écriture prend le pas sur l’improvisation au point que la musique en est comme étouffée. Certes, Silent Spring n’offre pas des solos débridés, mais les prises de parole de Loriers découlent naturellement de ce qu’elle a écrit. De plus, Hans Van Oosterhout est très libre dans son interprétation. Que ce soit pour « tapisser » (plus que rythmer) dans l’atmosphère "ECM » de Silent Spring ou, dans d’autres morceaux, pour construire de manière très fournie autour de la pulsation de base, il allie puissance et sensibilité. Cette dose de liberté apporte une nécessaire bouffée d’air frais. Sal La Rocca, quant à lui, est particulièrement à son aise, tout en élasticité, sur « The Party », bien que cette incursion funky ne corresponde pas vraiment au style de Loriers.

« Prao », qui sort du lot, est une samba mutante où plusieurs éléments relativement simples se superposent au piano (petite mélodie aérée, accompagnement latinisant, bizarrement dénaturé, et basse en accords à deux notes, un peu dissonants), avec une clarté remarquable, le tout pour engendrer une ambiance sombre et étrange. On retrouve l’attirance de N. Loriers pour les rythmes appuyés dans « Continuum », élaboré sur un ostinato rythmique entêtant. Mais la pianiste démarre son solo à contre-courant, en laissant de grands espaces ponctués par la caisse claire de Van Oosterhout. L’ensemble crée un effet inhabituel, ouvert et aplati, avant une interruption mélodique et un deuxième solo plus bop et sautillant.

En neuf morceaux et une quarantaine de minutes à peine, Silent Spring dresse un passionnant portrait de Nathalie Loriers, à la fois raffiné, dansant et intime.