Chronique

Big Bold Back Bones

Emerge & In Search of Emerging Species

Marco von Orelli (tp), Travassos (elec, fx), Luis Lopes (g), Sheldon Suter (dms)

Label / Distribution : Wide Ear Records

Avec Cloud Clues, le précédent album de Big Bold Back Bone (BBBB), nous découvrions dans la rencontre de deux scènes radicales de la musique improvisée européenne (la Suisse et le Portugal) une expression aride et ultra-sensible : des paysages aériens où la guitare de Luis Lopes rivalisait avec les trompettes de Marco Von Orelli, l’instigateur de ce quartet. On connaît le premier pour ses interventions écorchées et sa maîtrise de l’influx électrique  ; quant au second, on se rappelle son souffle fertile au sein du Marco von Orelli 5. Ici, même si « Tentaculita  » permet de retrouver leur marque de fabrique dans un morceau très nerveux où le batteur Sheldon Suter vient ajouter de la pierraille, c’est un paysage plus sombre qui est investi par l’orchestre. Ce n’est pas forcément pour de funestes raisons : le tintinnabulis de « Sealust  », tout autant produit de la batterie que des inventions des machineries de Travassos, est plutôt empli de quiétude. Si la lumière est absente de Emerge, c’est parce que le biotope de BBBB se niche dans les abysses.

Les créatures croisées, dont chaque plage pourrait être un portrait, font preuve d’un sacré instinct de survie dans un milieu si hostile et désertique. « Tidings  » illustre ainsi la vivacité d’une trompette insaisissable dans le remous turbide des crissements et des étincelles. On ignore, sauf à se concentrer beaucoup, si les griffures du son, léger comme l’onde, sont le propre de Lopes ou de Travassos, qui signe également l’illustration [1] de pochette de cet album sorti sur le label Wide Ear Records. Peu importe, d’ailleurs, puisque c’est l’alchimie collective qui alimente cette expérience organique très brute. En témoigne le presque immobile « Facing Extinction  », où la trompette à coulisse semble avancer à tâtons dans un brouillard indéfinissable et aux allures parfois post-apocalyptiques.

Comme pour poursuivre l’expérience dans l’agitation permanente de l’infiniment petit, BBBB sort simultanément sur le même label In Search Of Emerging Species, composé d’une seule improvisation de près de 45 minutes sur le même thème. Paradoxalement, alors que le temps n’est plus compté, comme un passage soudain à l’infiniment grand, le jeu de von Orelli se dilue, ne revenant qu’à la toute fin à un souffle plus chatoyant. Le propos se fait inquiétant, laissant davantage de place à Sutter et s’offrant un relief supplémentaire. Il ne s’agit pas d’en trouver un supérieur à l’autre : les disques sont complémentaires. Deux faces d’une exploration intense des chimères imaginées par des artistes qui savent les rendre palpables et formidablement réelles.

par Franpi Barriaux // Publié le 13 mai 2018
P.-S. :

[1Travassos réalise de nombreuses pochettes pour Clean Feed. On ne sera donc pas surpris d’y trouver quelques ressemblances.