Sur la platine

Charlie Christian

33 + 45 = 78
Chronique actuelle d’un disque 33 tours, ou 45 tours, ou même 78 tours !


At Minton’s : Charlie Christian (el-g), Joe Guy (tp), Kenny Kersey (p), Nick Fenton (b), Kenny Clarke (dm)


Publié aux USA sous label Esoteric, cette fameuse session At Minton’s a été disponible en France sous label Vogue dès 1952, soit moins de six mois après, et elle a bénéficié d’une des plus fameuses illustrations de Pierre Merlin. Bordelais d’origine, il avait décoré pendant la deuxième guerre mondiale le local du Hot Club de France à Bordeaux de fresques qui sont restées légendaires, d’autant qu’elles furent détruites dès la libération. Entre 1952 et 1956, il a dessiné de nombreuses pochettes de 25 cm pour les labels Vogue ou Swing. En quelque sorte disciple de David Stone Martin, il avait néanmoins son originalité, et a été repéré et documenté depuis longtemps dans de nombreux pays (Japon, USA, Espagne), mais pas vraiment en France, et pas du tout à Bordeaux.

Si vous vous reportez au verso de la pochette tout en écoutant le disque original, vous serez surpris de lire que le pianiste de cette session « live » est identifié comme étant Thelonious Monk, alors que rien ne le laisse penser à l’écoute, même pour ceux qui ne connaissent Monk que d’une oreille distraite. Il s’agit en fait de Kenny Kersey, mais les discographies continuent encore aujourd’hui parfois à véhiculer cette fausse information. Le dessin de Pierre Merlin met Charlie Christian en pleine lumière, entouré de contrebasse, batterie, piano, trompette et du preneur de son amateur, le tout enfermé dans une « boite » (Le Minton’s ?) assimilée à une boite de sardines, avec son ouvre-boite sur le côté, et un représentant de l’ordre policier veillant sur le lieu. C’est l’occasion de rappeler que les illustrateurs de cette époque ne disposaient parfois pour travailler que d’informations littérales très superficielles, et qu’ils devaient inventer une image à partir de ces maigres éléments.

Le titre « Swing To Bop », le plus passionnant de ces prises effectuées par un amateur disposant d’un matériel sommaire et encore très imparfait, est en fait une variation sur « Topsy » (morceau créé par Count Basie), et Charlie Christian y prend deux solos magnifiques d’invention, de swing, de mise en place audacieuse aussi (d’où le titre). Sur l’autre face, « Stompin’ At The Savoy » est également excellent. On retrouve ces prises, intégrales et complétées par d’autres, dans de nombreuses rééditions, mais la meilleure reste celle qui figure sur le volume 8 (1941) de The Charlie Christian Complete Edition dans la collection blanche des « Masters Of Jazz ». À dénicher d’occasion évidemment.