Scènes

Come Together à Salzbourg

Festival Jazz&TheCity, un marathon du 18 au 21 octobre 2023


Cette année, le festival est lancé sous la bannière « Come Together », thème pacifique on ne peut plus à propos : aller et être ensemble pour le bien de tou.te.s, aussi bien les musiciens que le public - c’est ce que précise Anastasia Wolkenstein la nouvelle directrice artistique qui prend la relève de Tina Heine. Durant les quatre jours de l’évènement, 64 concerts sont proposés dans une douzaine de lieux sous la forteresse de la vieille ville de Salzbourg. Ainsi, ce sont 130 artistes internationaux qui sont programmés et qui, parfois, se découvrent à travers des formules appelées Blind Dates et Impro.

Le festival est entièrement gratuit et sans réservation, les files de spectateurs montrent à quel point ce rendez-vous annuel est désormais couru et il est parfois difficile de se glisser au premier rang pour réaliser les reportages photos. Les concerts se recouvrent souvent dans cette programmation, il est donc impossible de tout voir. Mais la programmation, ouverte vers les musiques actuelles, parfois radicales, jouées par des musiciens - relativement - jeunes, propose également des concerts pour des publics familiaux. On peut noter que l’application pour smartphone dédiée est un outil indispensable pour préparer son parcours et recevoir les notifications des prochains démarrages de concerts.

Eté Large photo C Charpenel

La visite guidée, organisée par l’Office du tourisme de la ville, nous fait découvrir la riche histoire de Salzbourg qui fut un temps une principauté. Outre le remarquable patrimoine baroque, on trouve une dizaine de musées et environ vingt lieux de diffusion de musique. Nous découvrons la galerie Ropac, installée dans la belle Villa Kast bordant les jardins Mirabell. Spécialisée dans l’art contemporain et présentant une soixantaine d’artistes, la galerie soutient et met en valeur la carrière de certains des artistes les plus influents d’aujourd’hui grâce à un vaste programme d’expositions organisées chaque année dans les six espaces de Paris, Londres et Séoul.
Bien sûr, Mozart est présent de manière intensive et le conservatoire Mozarteum permet à 2000 élèves triés sur le volet de suivre les cours de 1800 professeurs ! Aujourd’hui, Salzbourg (160 000 habitants) est visitée chaque année par 12 millions de voyageurs.

Nous débutons ce marathon à la Szene, grande salle dédiée aux musiques actuelles, avec le trio brésilien du pianiste Amaro Freitas, composé d’Hugo Medeiros (batterie) et de Jean Elton (contrebasse) : une énergique entrée en matière avec cette formation dans laquelle je reconnais des influences de Michel Camilo pour la virtuosité et Joe Sample pour la mélodie. Dans un tout autre registre, le North Sea String Quartet, que je découvre, joue en acoustique à la Kollegienkirche, grande église romane et gothique. Les violonistes George Dimitriù (vu quelques jours auparavant dans l’Ensemble Ensemble d’Eve Risser), Pablo Rodríguez, Yanna Pelser et le violoncelliste Thomas van Geelen forment un ensemble remarquable, indescriptible stylistiquement tant les références au jazz, folk, musique contemporaine apparaissent entrelacées dans une écriture élaborée et néanmoins accessible. J’ai particulièrement apprécié le choix de jouer intégralement acoustique sous l’immense voûte, forçant l’audience au silence, et sans aucun dispositif de lumière. Ce sera le credo de ce lieu, pour les autres représentations également. Autochrom, le trio de Luise Volkmann, se produit dans la petite salle du Toihaus Theater. Curieusement, nous sommes assis côté jardin ; un espace est laissé vide devant l’installation du groupe, et dès le début du concert la saxophoniste invitera les spectateurs à venir se placer à même le sol devant les trois musiciennes. Les compositions radicales, la subtilité de jeu, le choix du bruitisme parfois, permettent l’écoute de chaque musicienne : la contrebassiste Athina Kontou au jeu élégant et puissant, Mariá Portugal à la batterie qui remplace brillamment Max Santner, les nuances subtiles du saxophone de l’Allemande. Ce trio est réjouissant, inventif, audacieux, un régal. Je me rends au Marionettentheater où Anja Lechner et François Couturier sont attendus par une foule conséquente : beaucoup ne pourront entendre la musique chambriste et romantique de ce duo emblématique du label ECM. La délicatesse et le raffinement de leur musique me touche à chacune de leur représentation, c’est encore le cas ce soir.

Le duo Shingo Knob : Andreas Schaerer, Lea Heimann au Toihaus Theater photo C Charpenel

Retour au Toihaus pour découvrir l’étrange duo Shingo Knob d’Andreas Schaerer (voix, électroniques) et Lea Heimann (voix, effets). Beats hypnotiques, électronique trippante et chants poétiques malaxés par les effets, on a le sentiment que ces deux-là s’amusent à tordre leurs sons pour fabriquer d’hallucinantes histoires hallucinées. Gothique réjouissant ! Changement d’ambiance avec Kutu de Théo Ceccaldi qui est programmé en extérieur sur la Residenzplatz. La nuit est tombée, la fraîcheur s’installe et les spectateurs attendent sagement debout. Mais dès les premières notes du power band, les premiers rangs deviennent un dance floor : l’ethno-transe du groupe est contagieuse ; difficile de rester stoïque un verre de bière à la main. Hewan Gebrewold (voix) et le violoniste soutenus par la rythmique de Cyril Atef (batterie), Valentin Ceccaldi (basse) et les claviers d’Akemi Fujimori mettent le feu à la place.

Le lendemain, je choisis de commencer à la galerie Kuko pour découvrir deux musiciens. Ces rendez-vous sont nommés Impro dans le programme, l’idée étant de proposer à des musiciens qui ne l’ont pas encore fait de se rencontrer à travers une improvisation. Le saxophoniste Werner Zangerle, du groupe autrichien Memplex, rencontre le guitariste polonais Szymon Mika. Surprise : la créatrice de la galerie, Eva Gold, se joint au duo à la voix. S’ensuit un set totalement profond et touchant, la chanteuse finissant en larmes d’émotion. Le DomQuartier, aujourd’hui un musée, fut la résidence des princes-archevêques de Salzbourg, chef-d’œuvre d’urbanisme baroque de style italien. C’est dans un des immenses salons que trois musiciennes jouent pour une Blind Date. Rendez-vous quasi similaires aux Impro, à ceci près qu’ici, les étudiantes de l’Académie Elbphilarmonie se connaissent et proposent un travail joué pour la première fois. Katerina Kravchenko et Patricija Skof chantent des standards soutenus seulement par la contrebasse de Klára Pudláková. En soi, rien de nouveau, sauf que la relecture chambriste proposée est totalement originale et personnelle. Du grand art joué en acoustique, magnifique ! Retour sur la Residenzplatz pour découvrir Été Large, le groupe de la saxophoniste Luise Volkmann qui joue en milieu d’après-midi. La grande scène extérieure attire du monde, les treize musicien.ne.s à la parité quasi parfaite jouent l’album When the Birds Upraise Their Choir un ensemble de morceaux très différents les uns des autres. Mais c’est la signature sonore de l’ensemble qui unit ce projet sur scène et, c’est évident, l’interaction entre les membres est palpable. Une folle liberté règne dans cette musique aux accents parfois zappaïens, la chanteuse Casey Moir donnant souvent dans le genre. Une réflexion à propos de la sonorisation : pas sûr qu’il fût nécessaire de diffuser une telle puissance et autant d’infrabasses.

Klara Haberkamp à la Kollegienkirche photo C Charpenel

Klara Haberkamp, pianiste allemande, joue en solo à la Kollegienkirche selon le même principe que les musiciens programmés dans ce lieu : en acoustique et sans lumière additionnelle. Les chaises, occupées en totalité, sont disposées en demi-cercle sur plusieurs rangs autour du piano. Beau concert à la ligne claire en dépit de la dizaine de secondes de réverbération et les va-et-vient des spectateurs qui perturbent l’écoute. La veille, j’avais vu la batteuse Mariá Portugal dans le trio Autochrom. Elle joue ce soir son Erosao Solo dans le petit caveau de l’hôtel Blaue Gans. Le set débute par un chant durant lequel elle balance à la main des clarines. La litanie nous traverse comme une lamentation, nous sentons le rituel s’installer. Un nouveau morceau est chanté et accompagné cette fois par une cymbale frottée qui résonne comme un cri. Puis elle s’installe derrière sa batterie, chante encore avec ses mailloches, pose en cours de morceau un attirail de petites cymbales et d’objets sur les peaux. La mélopée évolue progressivement comme un ensemble de percussions, une irrésistible transe nous transporte. Au rappel que le public réclame, la musicienne répond dans un grand sourire qu’elle n’en a pas prévu car c’est la première fois qu’elle fait ce solo. Elle reprendra différemment un morceau interprété plus tôt. Une personnalité artistique à suivre. Je finis mon périple où je l’avais commencé : le trio Nout joue à la Szene. La salle est comble, les musiciennes occupent le grand plateau avec une belle aisance et les morceaux font mouche. Depuis deux ans que je les avais découvertes à la Dynamo de Pantin, leur set est maintenant plus que rodé, les morceaux ont évolué, les partitions ont disparu. C’est très rock et échevelé, beaucoup de pédales d’effets et de saturation sur la flûte de Delphine Joussein et la harpe de Rafaëlle Rinaudo. Blanche Lafuente à la batterie emmène la musique sur des terrains musclés. Le public en redemande, la salle est conquise.

En conclusion, l’édition Come Together du festival, financé à la fois par la ville et son comité des fêtes et des partenaires privés à hauteur de 310k€, montre que cet évènement est désormais inscrit dans la longue liste des festivités de Salzbourg, et surtout attendu par un public fidèle.