Chronique

Daniel Levin Quartet

Friction

Daniel Levin (cello), Nate Wooley (tp), Matt Moran (vib), Torbjörn Zetterberg (b)

Label / Distribution : Clean Feed

Daniel Levin, associé à la scène new-yorkaise, s’est fait remarquer dès 2010 avec des albums comme Organic Modernism, qui portent la marque de son savoir-faire d’érudit modeste. Le violoncelliste se distingue notamment dans le choix de ses partenaires. Son quartet compte le vibraphoniste Matt Moran et le trompettiste Nate Wooley, deux autres voix innovantes qui redessinent les lignes du jazz américain actuel.

Levin, leader poli qui laisse la parole avant de s’exprimer, a une approche arythmique et surtout volontiers atonale qui lui ouvre tous les champs d’expression. Sur Friction, pourtant, tout bavardage ou solo abscons est évité. Même s’il n’aime pas se définir comme avant-gardiste, son approche insolite de l’instrument parvient toujours à rendre son jeu accessible et séduisant. Passé par le classique comme beaucoup d’improvisateurs formés au jazz, Levin sait faire entendre sa voix, qu’il se fonde dans un univers mélodique riche (celui du saxophoniste Tony Malaby, avec qui il joue régulièrement) ou plus sobre (Wooley, sur cet album).

Pour sa sixième signature sur le beau label portugais Clean Feed, Levin apporte la preuve que jazz et musique de chambre peuvent s’entendre, et leur réunion surprendre. Ici, la Friction n’est que jeux, joutes allègres, parfois humoristiques, entre quatre instruments qui se pourchassent et se réconcilient le temps de quelques thèmes joués l‘unisson.

Le premier titre, le bien nommé « Launcher » (lanceur), est une course-poursuite mélodique rapide, façon cartoon, avec ses accélérations, ses rebondissements et ses attaques surprises. Cette approche ludique et enfantine éveille l’écoute. Les sept autres morceaux se recentrent sur l’improvisation pure et sur une accalmie propice à la perception des matières sonores, qu’elles soient frappées ou frottées, à un rythme qui ne semble jamais se fixer, ou encore soufflées. Souvent, Moran crée au vibraphone une surface lisse où les phrasés des solistes se croisent ou se percutent. Les titres se suivent pour former une seule et même plage où l’on navigue entre frivolité et intensité. Même lorsqu’elle ne repose que sur la vibration de l’air, la musique retient l’attention. Le sens de l’épure évite, certes, la ritournelle mais l’album recèle des chants ou double-chants de toute beauté (« Chol »).

Friction est empreint de pédagogie, d’une volonté de transmission de l’amour des sons pour ce qu’ils sont, parce qu’ils peuvent nous amener ailleurs. Le disque s’éteint d’ailleurs sur une sensation d’ouverture. Elle présage d’autres faits d’armes de la part d’un quartet qui sait faire naître l’impatience.