Chronique

Farmers By Nature

Out Of This World’s Distortions

Craig Taborn (p), William Parker (b), Gerald Cleaver (d)

Label / Distribution : AUM Fidelity/Orkhêstra

Out Of This World’s Distortions fait suite à une première expérience en trio pour William Parker, Craig Taborn et Gerald Cleaver sous le titre de Farmers By Nature. Celui-ci étant devenu entre-temps celui de la formation, le groupe revient creuser le même sillon : celui, sous les allures apparemment classiques d’une alliance piano - contrebasse - batterie, d’une musique totalement improvisée.

Out Of This World’s Distortions… Voilà qui laisse espérer une certaine sérénité. Ce n’est vrai que pour la première pièce, dédiée au regretté Fred Anderson, et qui relève plus d’une rencontre imaginaire entre Morton Feldman et Arvo Pärt que du jazz ou de la musique improvisée à proprement parler. Les marteaux y sont comme suspendus, l’archet est plus léger que l’air et la frappe de Cleaver n’a jamais été plus délicate tandis qu’il manie de sa main libre des percussions africaines en bois. Un beau morceau d’un calme olympien, très surprenant et qui semble placé en ouverture comme pour mieux dérouter l’auditeur.

Car ensuite, le naturel des musiciens (comprendre : à la fois le goût d’une musique revêche et la tradition jazz américaine) revient au galop. Out Of This World’s… est ainsi constitué de six longues pièces (jamais moins de huit minutes) où l’amour des dissonances, des ruptures de rythme et des tempos mouvants s’exprime avec une belle verve et dans un idiome très nettement affilié au free.

Un point de repère émerge à plusieurs reprises de cette forêt de sons : le jeu puissant de Craig Taborn, énergique et plus rythmique que mélodique. A l’aide d’arabesques sans fin ou d’accords virulents, il tend volontiers à guider les échanges. D’une justesse impeccable, les musiciens entrelacent en permanence leurs interventions, si bien que chaque morceau est un modèle de densité et de cohésion. Les motifs proposés par Cleaver répondent à ceux de Parker et réciproquement. Chacun sait se contenter d’écouter quand cela s’impose (« For Fred Anderson », « Cutting’s Gait ») ou de reprendre les suggestions de ses partenaires. Parker reprend ainsi le rythme chaloupé des toms de Cleaver qui ouvrent « Mud, Mapped », avant que le batteur ne reprenne lui-même sa propre phrase rythmique pour clore le morceau, et le disque.

En somme, cet enregistrement confirme l’impression ressentie en juin 2011 au Musée du Quai Branly à Paris pour la clôture du premier cycle Jazz Bleu Indigo : cette entente a quelque chose de magique. Chacun semble constamment pressentir l’initiative suivante des deux autres et l’échange relève, à la fin, de la danse plus que de la conversation. Out Of This World’s Distortions ne dévoile pas de nouvelle facette de ses trois auteurs, mais les donne à entendre en grande forme.