Scènes

Rhys Chatham et Christian Pahud au Centre culturel Suisse

Rhys Chatham s’associe avec Christian Pahud pour trois pièces rares.


Le 1er mars dernier, Rhys Chatham s’associait au batteur suisse Christian Pahud le temps de trois pièces minimalistes et répétitives dont ils ont le secret. Une musique intense, bruyante, libre… en un mot : réjouissante.

Un concert de Rhys Chatham au Centre Culturel Suisse de Paris : voilà qui n’étonne qu’à moitié, tant la programmation du lieu est pointue et stimulante, toute considération de nationalité mise à part. En outre, le New-Yorkais partage l’affiche avec Christian Pahud, batteur suisse à l’origine de la rencontre [1].

Il s’agit ici de trois pièces répétitives et minimalistes d’une vingtaine de minutes chacune, la première composée par Christian Pahud, les deux autres par Chatham. La pièce de Pahud, qui navigue entre composition contemporaine et free, réunit son auteur à la guitare et deux batteurs équipés chacun d’une paire de toms. Ceux-ci frappent simultanément leur instrument à intervalles réguliers, en accélérant le tempo pendant toute la durée de la performance. Il en résulte une rythmique métronomique dont la pulsation gagne inexorablement en vitesse jusqu’à un finale chaotique du plus bel effet. Pendant ce temps, une vidéo en fond de scène montre des végétaux dans un montage synchrone avec le jeu des percussionnistes. A gauche, Rhys Chatham exécute une partie de guitare minimaliste, répétitive et syncopée : des fragments de riffs qu’il passe dans un pédalier d’effets et qui, mis en boucles et superposés, finissent par former une énorme nappe électrique, bruissante et compacte. Entêtante et presque rigoriste dans sa métronomie obstinée, cette pièce restera comme un beau moment d’hypnose ascétique.

Les deux pièces de Chatham ont plus généreuses et plus nettement rock. Très semblables dans leur principe et leur exécution, elles sont fondées sur une rythmique ternaire exécutée presque exclusivement – du moins dans un premier temps – sur la charleston. Chatham joue de la trompette et s’accompagne du même pédalier d’effets. Dans sa première pièce, il développe de petits motifs en aplats, presque des nappes jouées avec beaucoup de douceur. Dans la seconde le son est plus rêche, organisé en petits groupes de notes fragmentaires. Dans les deux cas, via l’utilisation massive de loopers et de pédales delay et wah-wah le son de la trompette s’enfle peu à peu pour former une masse unique au timbre complexe, chargé d’harmoniques. Le batteur étend ensuite son registre à la grosse caisse, aux toms et à la caisse claire ; le rythme prend de l’ampleur à mesure que le son gagne en puissance, le tout aboutissant à un final où la fougue le dispute à l’intelligence, tant dans l’écriture des motifs que dans le crescendo qui gouverne les deux morceaux.

Rhys Chatham semble sur scène comme un poisson dans l’eau, alliant décontraction et aisance – il plaisante, expose brièvement le programme de la soirée, remercie chaleureusement, donne l’accolade à son partenaire ; mais ne nous y fions pas : au fil de ce très beau concert, c’est dans l’apparente facilité de son exécution que cette musique de tout premier plan puise son élégance.

par Mathias Kusnierz // Publié le 28 mars 2011

[1Celle-ci a lieu dans le cadre de l’exposition Echoes, qui explore « les échos multiples entre les arts plastiques et la musique. »