Chronique

Rob Brown Trio

Unknown Skies

Rob Brown (as), Craig Taborn (p), Nasheet Waits (dms)

Label / Distribution : Rogue Art

Enregistré lors d’un concert à Saint-Mandé le 30 janvier 2010 dans le cadre du festival Sons d’Hiver, cet excellent album live restitue fidèlement l’énergie souvent déployée par les acteurs de la scène avant-gardiste new-yorkaise, ici représentée par trois de ses plus talentueux musiciens.

La longue et puissante improvisation lancée suite à l’exposé du thème « A Fine Line », en ouverture du disque, permet de mesurer la force de frappe de ce trio puisque s’y mêlent le phrasé tranchant et la sonorité incandescente de Rob Brown, les fulgurances rythmiques et les schémas harmoniques complexes de Craig Taborn, ainsi que le jeu tendu et foisonnant de Nasheet Waits.

Le tellurisme de cette première pièce cède place à une science partagée de la couleur et du climat dans le deuxième morceau, « Unknown Skies ». Ces ciels inconnus inspirent au trio une musique tourmentée mais contenue. Au sein de cette étrange ballade, baignée des couleurs anthracite des jours d’orage, un remarquable solo du pianiste, construit autour d’une note martelée dans le registre grave, est rendu presque hypnotique par une partie de batterie calme et régulière ; celle-ci met en lumière la faculté des musiciens à écrire dans l’instant des chapitres atmosphériques basés sur l’interactivité, comme les passages malaxant le matériau musical jusqu’à ce qu’en ressortent des tensions extrêmes.

Richesse du vocabulaire personnel, grande capacité d’écoute, art de réagir promptement à n’importe quelle inflexion, de saisir au vol les propositions inattendues… autant de qualités requises lorsqu’on cherche à influer sur des pièces aux trajectoires incertaines. Elles sont évidentes ici. Plus encore, elles sont mises au service d’une création pensée (cf le judicieux emploi du thème « Bounce Back », qui permet à Brown et Waits de passer, après quelques minutes d’échanges brûlants, le relais à Taborn, tout à coup seul maître à bord d’un navire en pleine tempête.

« The Upshot » est, quant à lui, développé sur la longueur, traversé par une longue montée en puissance sur les six premières minutes, puis par un decrescendo relatif, une accalmie collective où des espaces se créent avant que la musique, qui semble s’auto-alimenter, ne regagne des sphères d’une saisissante intensité, cette fois sous l’impulsion du saxophoniste.

Ce magnifique voyage se termine avec « Temerity » qui, plus concis, débute comme un blues puis s’envole rapidement vers les aires de jeu qu’affectionnent les trois musiciens : un jazz contemporain ébouriffant qui laisse une large place à l’improvisation tout en se nourrissant de ses racines pour mieux s’épanouir vers la lumière.