Scènes

Healing Orchestra : un bon gros concert de free.

Vendredi 4 mars, douze sur scène, le Healing Orchestra échauffe le Faucheux.


Healing Orchestra, photo Rémi Angéli

Rares sont les formations orchestrales françaises actuelles qui consacrent l’intégralité de leur esthétique au free jazz le plus bruyant. Aussi la venue au Petit Faucheux, ce vendredi 4 mars, du Healing Orchestra, dirigé par le pianiste Paul Wacrenier, était attendue avec une certaine gourmandise. Avec douze musiciens sur scène, la perspective d’un raffut et d’un empilement de sons entrechoqués était assurée ; les oreilles les plus folâtres, quant à elles, pleinement comblées. Retour sur une soirée délibérément libre.

Healing Orchestra, photo Rémi Angéli

Le fait est notable : dans les toutes premières secondes de ce concert, le groupe impose avec assurance, une couleur, une saveur même, en lien direct avec la scène américaine des années 60. On entre dans le vif du sujet dans l’instant et par la grande porte de surcroît. Frappes sèches à la batterie, basses puissantes et surtout un saxophone, tenu par Jean-François Petitjean, qui touche les cimes au plus vite et à grands cris. La tête décoiffée, on s’apprête à partager avec le groupe un moment revigorant.

La scène du Petit Faucheux, le Healing Orchestra la connaît bien, notamment parce qu’il y a enregistré le disque qu’il est venu défendre ce soir. Free Jazz for The People est un nouveau manifeste de ce que cet orchestre propose, bien orienté en cela par un leader au clair avec les directions qu’il entend dérouler (voir notre entretien de 2017). Les douze musiciens sont à leur place et à leur aise, et mettent en mouvement des masses brutes qui balancent et se heurtent les unes aux autres avec vitalité.

La section de soufflants est un chaudron brûlant dans lequel se concocte une tambouille en ébullition. Deux trompettes (saluons l’arrivée pour la première fois dans le groupe de Quentin Ghomari, transfuge de Papanosh, entendu voici quelques temps au même endroit), trois saxophones (dont un baryton qui double la contrebasse et forge ainsi un son d’une belle épaisseur) ainsi qu’une section réduite mais raffinée, qui apporte un piment supplémentaire en tirant le son vers les hauteurs. Ce sont Fanny Ménégoz à la flûte, toujours à propos, et un inattendu Sylvain Kassap qui vient apporter avec sa clarinette sa sagesse et son sens du désordre. Un violon et un violoncelle quant à eux, s’adossent à un piano-marteau et agacent l’ensemble de leur une présence entêtante en ajoutant un liseré de cordes à l’ensemble.

Healing Orchestra © Terreur Graphique 2022

Si la musique est libertaire, le collectif est autogéré. Tour à tour, un musicien va prendre le décompte de parties transitoires et ainsi faire vivre une partition qui s’avère scrupuleusement écrite. Les retours aux tutti, les ponctuations incendiaires du flux, apportent du contraste et canalisent l’attention à des moments stratégiques. Les associations ponctuelles entre musiciens font le reste et élargissent l’espace sonore en portant un zoom bienvenu sur les timbres.

Quelques duos se forment, éphémères mais indispensables, et permettent de distinguer la trompette de Xavier Bornens ou encore les percussions chantantes de Sven Clerx avant de repartir dans l’effet de groupe. La musique se veut totale et affranchie des hiérarchisations ; elle est surtout l’occasion d’entendre un long répertoire à l’humeur variable. Une ballade dissonante, moment d’accalmie d’une sensibilité authentique, apporte nuance et complémentarité à cette formation qui pourrait même aller plus loin, accélérer encore, qu’on ne lui en voudrait pas.