Scènes

Tête de Lark au Petit Faucheux

La Tête de Lark, nouvelle formation à l’initiative de Sarah Murcia et Sylvaine Hélary, réunie pour la première fois sur scène au Petit Faucheux en septembre.


La Tête de Lark, photo Rémi Angéli

Mercredi 21 septembre, le Petit Faucheux lance sa nouvelle saison. Avec une équipe renouvelée en quasi-totalité, l’envie est là de démarrer une nouvelle étape pour le club. La salle comble est le signe évident d’un besoin de musique, même celles cataloguées « les moins évidentes ». En l’occurrence ce soir-là, deux programmes différents mais tout deux nimbés d’une forme de douceur : le trio Wing et le quintet La Tête de Lark.

Fort d’un nouveau directeur nouvellement arrivé, Sylvain Élie qui officiait auprès de l’ONJ il y a peu, d’un nouveau programmateur et d’un nouveau chargé de communication en place depuis un an, l’équipe est ripolinée. On n’oubliera pas Françoise Dupas, tristement décédée l’année dernière, mais on s’attend à un nouvel élan dans le maintien d’une ligne qui mêle création et qualité. Le tout dans l’esprit de convivialité qui fait l’esprit de la salle. La continuité dans le changement en quelque sorte. Ce type de lieu est précieux.

Au vu de la présentation de la programmation en cours faite par Antoine de la Roncière, pas d’inquiétude : Tim Berne, Jean-Luc Cappozzo, Géraldine Laurent, Erik Friedlander, Dave Holland pour les grands noms, des groupes affirmés ou en devenir, des festivals ; de quoi s’enthousiasme et s’enjazzer les oreilles jusqu’en décembre (le programme est accessible ici). Allons-y, place au premier groupe.

Un trio : piano, voix et basse électrique. Wing est issu de Jazz à Tours, l’école de jazz de la ville qui forme les musicien.ne.s de demain sans jamais faiblir. Wing coule dans l’oreille avec des compositions mélodieuses qui évoquent un lointain Broadway. Elles sont signées du pianiste Thibaud Boustany et mise en voix, avec maîtrise et une jolie retenue, par la chanteuses Élia Guerin. L’ensemble baigne dans un son rond, du fait notamment de la basse électrique de Rémy Gouland, et tient par ses lignes chantantes qui se croisent . Tout se passe bien d’ailleurs entre les deux instrumentistes : ils se complètent sans surjouer. Les ambiances sont posées, sages mais pas ennuyeuses. Les solos sont parfois superflus mais la salle, certains parents ou amis au vu de l’enthousiasme, réagit bien.

Aloïs Benoit, Sébastien Boisseau et Sarah Murcia, photo Rémi Angéli

Sylvaine Hélary est artiste associée au Petit Faucheux pour les saisons 2020-2022. La Tête de Lark, groupe qu’elle co-dirige avec Sarah Murcia, devait être présentée l’hiver dernier. Le COVID passe par là et un report s’ensuit. L’instrumentarium avait su aiguiser notre curiosité, il n’était pas question de passer à côté.

Deux contrebasses (Sarah Murcia, Sébastien Boisseau), un euphonium (Aloïs Benoit), une clarinette (Élodie Pasquier) et une flûte (Sylvaine Hélary). L’assemblage est étrange. Ajoutez à cela les talents fondus dans un même projet de deux compositrices, par ailleurs appréciées, et nous voilà aux aguets. Prêt à tout entendre, fantasmant des directions qui ne seront, à coup sûr, pas celles prises.

Le plaisir de la découverte, c’est, en effet, de se laisser porter vers là où on n’imaginait pas aller. La confiance accordée à des musiciens permet de les laisser se dévoiler sans qu’il y ait pour nous une gêne. Car du concert de ce soir nous ne savons rien puisque c’est une première.

Ils seront attentifs, d’ailleurs, à jouer la partition au plus juste, même si cette application n’empêche pas d’entendre immédiatement sonner l’orchestre. Deux contrebasses côte à côte, ça fait du bruit. Un son massif, plein, mis en mouvement, de surcroît, par deux instrumentistes qui pratiquent leur instrument avec volontarisme. Les cordes frisent, claquent contre le manche, les attaques se relaient dans le bouillonnement. Dans cette masse pourtant se glisse malignement le cuivre d’Aloïs Benoit qu’on ne voit pas venir, tant le regard est accaparé par les deux gros coffres boisés. Voilà donc le ouaté de son souffle, qui se fera tumultueux plus tard. Sur la droite, la clarinette et la flûte apportent une légèreté qui contrebalance les parties graves. Les phrases coulent l’une dans l’autre, elles ponctuent, revendiquent leur souplesse et leur capacité à investir le haut.

Dans les musiques aventureuses, rien n’est jamais figé. La tête d’alouette (lark en anglais) est une technique nodale. Elle est le nom d’un nœud à deux têtes, simple mais efficace (faites-vous enseigner ou regardez sur le net). De fait, dans cette formation, tout se noue et se dénoue. Les configurations sont changeantes et si les blocs définis à l’instant constituent un socle, ils sont néanmoins mobiles. Quelques duos, voire trios, nuancent les couleurs générales. En restant bien entendu dans l’esthétique définie, ils apportent ce qu’il faut de dynamique nouvelle en déclinant un panel d’humeurs nées de ces associations. Jusqu’aux solistes, portés par ce projet bicéphale mais homogène, qui s’élancent avec conviction dans un propos à la fois délicat et fortement charpenté. Le groupe souhaite encore pratiquer la scène sur quelques dates puis passera en studio en vue d’un disque.