Chronique

Joëlle Léandre/Nicole Mitchell/Dylan Van Der Schyff

Before After

J. Léandre (b), N. Mitchell (fl), D. Van Der Schyff (dms)

Label / Distribution : Rogue Art

En cet an 2011 qui voit se multiplier les événements célébrant les soixante ans de la toujours jeune contrebassiste Joëlle Léandre [1], beaucoup de disques viennent aussi souligner son engagement, la diversité et la qualité de ses collaborations.

Après les récents duos (avec Anthony Braxton ou India Cooke par exemple), on la retrouve en trio sur le label RogueArt pour lequel a déjà gravé avec le tromboniste George Lewis. C’est à Vancouver, à l’occasion de l’International Jazz Festival 2009 que Before After a été enregistré en public, histoire de garder la magie de l’instant propre à l’improvisation. La première de ses comparses est l’immense flûtiste Nicole Mitchell, ancienne présidente de l’AACM, membre du 12+1tet de Braxton et qui a récemment intégré les Five Elements de Steve Coleman pour le spectacle Lingua Franca [2]. Quant à celui qui ferme le triangle, le batteur canadien Dylan Van der Schyff, c’est un fidèle de George Lewis et de François Houle, musiciens avec qui Joëlle Léandre a beaucoup travaillé.

Before… After… il est donc ici question de temps. Une temporalité s’étire en quatre séquences, de « Before Before », longue pièce d’ouverture qui pose le rôle de chacun, jusqu’à « After After » qui mêle dans une vague de métal les voix de la flûtiste et de la contrebassiste. Il ne s’agit pourtant pas d’une course contre le temps, mais plutôt d’une exploration lascive. Dans des notes de pochettes très inspirées, Alexandre Pierrepont propose une description très organique du jeu de chacun en lui attribuant un des quatre éléments (le feu, l’air et l’eau). Mais Before After ne serait-il pas par-dessus tout une métaphore des marées sans cesse renouvelées ? Van Der Schyff trace les côtes dentelées d’un littoral en constant mouvement, et la contrebasse de Léandre figure le ressac incessant qui transforme le paysage au gré du temps, porté par le souffle tantôt gracile tantôt imposant de Mitchell.

Au sein du trio s’établit une relation solide entre deux forces majeures, complices et jamais contraires : le souffle chromé de Mitchell et le jeu profond de Léandre, dont l’archet omniprésent esquisse un ballottement perpétuel dans le continuum. Au centre de cet axe, Van Der Schyff apparaît comme un coloriste maître du temps qui ne porte jamais l’estocade, préférant ponctuer d’un effleurement de peau ou d’un crissement de cymbale un souffle irrégulier de vent dans l’herbe humide. « Before After », qui s’ouvre sur un monologue du batteur, est l’exemple de cette évaporation subtile du temps. Lorsque Joëlle Léandre le rejoint dans un magnifique jeu d’archet, le rythme s’érode et se sédimente jusqu’à se réduire à un discret cliquetis métallique relayé par la respiration de Nicole Mitchell. Tel le temps qui s’écoule inexorablement, l’entropie née de la cohésion du trio dessine à chaque instant de nouveaux territoires, de nouveaux rivages qu’on a plaisir à explorer.