Chronique

Joëlle Léandre & Théo Ceccaldi

Elastic

Joëlle Léandre (b), Théo Ceccaldi (vln)

Label / Distribution : Cipsela

Il y a d’abord ce geste mille fois répété, caractéristique, de frottement d’archet sur les cordes. Il ouvre l’album dans une danse intrigante qui vaut toutes les signatures. Joëlle Léandre est de la partie, attentive et tendue, prête à s’engouffrer dans le flux d’une improvisation en duo. C’est elle, et on le sait immédiatement, comme ces sculpteurs qu’on saurait reconnaître au premier coup de burin. A ses côtés, un violon volubile qui use de la même minutie pour capter l’instant. Bien sur, l’improvisateur qui accompagne la contrebassiste n’est pas un étranger, même s’il signe avec Elastic son premier duo avec Léandre. Théo Ceccaldi est un intime ; un filleul du métier qu’elle a rencontré dans un mémorable festin de cordes en trio. Plus que cela sans doute, lorsqu’on songe à son rôle dans le fameux tentet de la contrebassiste. Filiation spirituelle qui laisse sourdre une évidente tendresse dans un morceau tel « Elastic #2 » où les instruments s’amusent à parler d’une même voix, occuper le même spectre ; fusionner, littéralement, sans chaleur excessive et avec un naturel désarmant.

Jamais nous n’avions pu constater aussi clairement la grande proximité de ces deux-ci. Ils ont la même concentration sur les mouvements infinitésimaux qui les relient l’un à l’autre. A la manière d’un élastique justement, qui traverserait la stéréo et jouerait de cet espace. Chacun sur un canal, contrebasse à droite et violon à gauche, les artistes ne s’entrechoquent pas. Il se complètent, exploitent chaque atome de l’instrument, du bois au crin, pour façonner ensemble une atmosphère palpable. Elle saisit davantage par sa densité que par sa causticité. Les archets puisent dans le limon de la musique écrite occidentale pour nourrir l’instant. Il en résulte un propos très contemporain qui ne ressemble à nul autre, puisqu’il ne recycle rien ; au contraire, il infuse de nombreuses influences, sans en avoir l’air, aussi facilement qu’on respire. Entre tension et détente, toujours proches de la rupture mais jamais détachés, les bruissements du violon viennent tour à tour assaillir les basses travaillées comme de la glaise et s’astreindre à un quasi-silence (« Elastic #3 »).

Avec sa marraine, Théo Ceccaldi va à l’essentiel ; il ne cherche pas les clins d’œil ou les exercices de style mais se livre entièrement - témoin « Elastic #6 » où ses cordes bondissent pendant que la contrebasse explore un grondement où transparaît plus de liesse que de colère. On a l’habitude d’une Joëlle Léandre turbulente et facétieuse, qui peut crier ou chanter, inviter son complice à abandonner toute retenue pour céder au tumulte. Avec Ceccaldi, comme c’est le cas parfois avec certains musiciens parmi ses plus proches, on est en présence d’une sensibilité exacerbée, à quoi s’ajoute indéniablement une dose de solennel, comme pour dire l’importance de ce moment en tête-à-tête. Il y a là une charge symbolique, qui complète Can You Hear Me comme un post-scriptum. Le disque est sorti - ce n’est pas anodin - sur le label Cipsela de Marcelo Dos Reis, qui fait depuis le début une large place aux cordes. Sacré confrérie dont ces musiciens sont des représentants de la plus belle espèce.