Entretien

John Greaves

Entretien à l’occasion de la sortie de son album « Greaves/Verlaine ».

Rencontre avec le chanteur et compositeur gallois et francophile à l’occasion de la sortie de son album « Greaves/Verlaine » et de son concert au New Morning (12 mars 2008).

Pourquoi ce deuxième album en français, et pourquoi Verlaine ?

Mon objectif, dès le départ, était défini ainsi : faire un disque en français, de John Greaves chanteur. J’ai fait de mon mieux pour y parvenir. Mon but n’a jamais été d’écrire ces chansons pour ensuite les confier à quelqu’un d’autre. Maintenant, bien sûr, j’espère qu’elles seront chantées par d’autres, car je pense qu’elles possèdent une forme d’universalité. Certains pourraient, du reste, les chanter beaucoup mieux que moi, mais là n’est pas la question. Pour moi, c’était un vrai défi personnel de faire un album en français. Je n’étais pas sûr de pouvoir tenir la distance. L’idée d’un chanteur avec un fort accent anglais chantant en français, ce n’est pas forcément évident ! Pour moi, c’est très plaisant à faire, mais pour l’auditeur ? C’est une question à laquelle je suis bien incapable de répondre ! Tout ce que je pouvais faire, c’était trouver la manière de chanter qui me semblait la plus appropriée aux textes de Verlaine, à l’intérieur du registre vocal limité qui est le mien. C’est aussi pourquoi il n’y a pas, à la différence de Chansons, de mélodies de grande amplitude, car ce que faisait Elise Caron sur ce disque, j’en serais bien incapable ! Mon rôle est plutôt celui d’un narrateur. J’ai voulu rester proche de l’effet que ferait le texte s’il était lu. La dimension harmonique est portée par l’arrangement et tout ce qu’il y a autour de la voix.

Quant au choix de Verlaine… Quand j’ai parlé autour de moi de mon désir de faire un album en français, on m’a suggéré de relire les grands poètes : Rimbaud, Mallarmé, Apollinaire… C’est ce que j’ai fait, mais bien qu’appréciant leur travail sous l’angle poétique, ils ne m’inspiraient pas musicalement. Or j’étais clairement en quête de textes qui pourraient devenir des chansons. En relisant Verlaine, l’évidence m’a sauté aux yeux. Ses poèmes sont très précis, très structurés. Une fois que vous avez mis en musique les deux premiers vers, le reste suit assez naturellement, car la métrique est toujours parfaite. Il est assez facile d’intégrer les strophes à une structure musicale de type chanson.

Comment s’est fait le choix des poèmes ?

Au moment de partir, comme chaque été, passer mes vacances en Ecosse avec ma famille, j’ai soudain réalisé que je n’avais guère avancé au-delà du choix de Verlaine comme « parolier »… Alors, dans l’urgence, j’ai téléchargé sur l’ordinateur que j’emmenais avec moi tout un tas de poèmes de Verlaine. Une fois sur place, j’ai racheté quelques livres. Il ne m’a guère fallu plus d’une semaine pour faire mon choix. Le seul poème que j’aie rajouté plus tard, c’est « Triolet à une vertu », car je n’avais pas encore découvert ses textes érotiques : ils sont plus difficiles à trouver dans les librairies écossaises !

La musique est venue assez rapidement. Ce n’est pas un problème pour moi, dès lors que la question des textes est réglée. Ça s’était déjà passé ainsi pour Chansons. J’avais rencontré Christophe Glockner par hasard : c’était mon voisin du dessous ! J’avais quelques musiques en attente de paroles, je lui ai proposé de s’y essayer, et le lendemain il avait déjà écrit trois ou quatre textes ! Après, c’est allé très vite, on a écrit et enregistré l’album en deux mois. Je n’avais jamais travaillé aussi rapidement ! Je peux être très prolifique quand les circonstances sont favorables !

J. Greaves © H. Collon/Vues sur Scènes

Ton écriture semble s’être simplifiée avec le temps, même si l’on perçoit quelques réminiscences du passé par moments…

J’ai composé des choses très compliquées, d’autres très simples. Je ne veux surtout pas choisir entre les deux. Je refuse toute posture idéologique à ce sujet. Quand on est jeune, il est nécessaire de se fixer des principes, sinon on est vite perdu. En vieillissant on se rend compte qu’on peut dépasser ces frontières, sans pour autant sacrifier l’intégrité du processus créatif. J’ai appris qu’il n’était pas nécessaire d’être compliqué pour être non-commercial. J’espère être arrivé à un certain équilibre aujourd’hui…

Dans son esthétique sonore, cet album est une sorte de « superproduction artisanale »…

Je suis parti sans la moindre idée préconçue en matière d’arrangements. J’avais l’opportunité d’enregistrer pendant les heures creuses dans un petit studio, Chez Jean. J’y allais tous les quinze jours, généralement la nuit. J’ai commencé par enregistrer un accompagnement sommaire au Fender Rhodes, avec l’aide d’un click. Les autres instruments sont venus s’ajouter au fur et à mesure, sur une durée de plus d’un an au total. Chacun des invités est venu faire ses parties, en jouant sur tel morceau et pas sur tel autre, et tout s’est mélangé, selon l’inspiration du moment. C’était une façon vraiment intéressante de travailler. Je crois que c’est Karen Mantler qui est venue la première, et ses parties d’harmonica ont immédiatement changé l’atmosphère de la musique. Et ça a été la même chose avec chacun des autres. Quand Scott Taylor est venu jouer de l’accordéon, ça a pris une tournure plus française, bien qu’il soit américain. Puis les cordes, qui ont apporté un côté classicisant… Je me suis senti très libre durant tout ce processus, car à mes yeux la seule chose inamovible, indélébile, c’était le texte de Verlaine. D’ailleurs, certaines des voix témoins que j’ai enregistrées au départ sont restées telles quelles au final. Mais tout le reste pouvait bouger, la seule obligation était de soutenir cette sorte de monument, de phare, au centre.

J. Greaves © H. Collon/Vues sur Scènes

La cohésion d’ensemble doit beaucoup à l’implication des Recycleurs de Bruits…

Elle était en quelque sorte inévitable, à partir du moment où j’ai fait appel à Jef Morin pour assurer les parties de guitare. J’étais très content du travail accompli avec Guillaume Samot du studio Chez Jean, mais quand est arrivé le moment de mixer, je me suis dit qu’il serait difficile de le faire correctement dans ces conditions. Il faut avoir du temps à sa disposition quand on mixe, passer s’il le faut plusieurs heures d’affilée sur un morceau. Ne serait-ce que d’un point de vue pratique, travailler avec Nico Mizrachi s’est imposé. Le fait qu’il soit, en plus, très talentueux, ne gâche rien… Par contre, avec lui, il n’y a pas de demi-mesure : on lui laisse carte blanche ou rien ! C’est pourquoi il y a clairement la patte des Recycleurs de bruit sur cet album. Ça a été un peu tendu entre nous par moments, mais je suis vraiment content du résultat. Il y avait énormément d’informations à gérer, beaucoup de choses qui s’étaient ajoutées au fur et à mesure sans être vraiment préméditées, et organiser tout ça était un sacré défi. Il s’en est tiré de façon magistrale. Pareil pour le mastering, qui est un travail auquel je n’avais jamais accordé beaucoup d’importance jusqu’ici.

Contrairement à tes trios Roxongs et Jazzsongs, le groupe qui t’entoure sur scène pour interpréter le répertoire Verlaine est à géométrie variable, allant du simple duo chant/accordéon avec Scott Taylor, à l’orchestre complet qui t’accompagnera au New Morning, en passant par toutes sortes de variantes…

Evidemment, il y a des raisons bassement matérielles à cela. Mais il y a aussi le fait qu’étant simple chanteur dans ce projet, je pense que je me lasserais beaucoup plus vite d’un effectif figé. J’ai besoin que les arrangements évoluent d’un concert à l’autre. L’expérience a été très intéressante pour moi. On a fait un concert à Argenteuil avec Scott, Jef et David Lewis, qui joue maintenant du piano en plus de la trompette. Un autre à Créteil avec Scott, Laurent Valéro au violon et Jeanne Added au violoncelle et au chant. A Main d’Œuvre, il y avait juste Scott et Jef… Au New Morning, il y aura pour la première fois la section rythmique : comme sur l’album, où la basse et la batterie ont été ajoutés en dernier !

As-tu déjà une idée de ton prochain projet ?

Il y en a un, déjà bien avancé, toujours en français, dont je préfère ne pas trop parler pour l’instant… Ce qui est certain, c’est qu’en ce moment, je me sens inspiré et créatif. D’une façon générale, ce dont j’ai envie et dont je me sens capable, c’est de mettre l’expérience que j’ai accumulée en tant que musicien au service d’une musique qui ait une vraie résonance. Je crois être capable, désormais, de voir ce qui fonctionne ou pas. C’est venu avec l’expérience. Quand on est jeune, on essaie toutes sortes de choses : certaines fonctionnent, d’autres pas. J’aimerais maintenant canaliser tous ces acquis dans un processus créatif qui soit totalement naturel.