Chronique

John Greaves

Zones

John Greaves (voc, p, elb, prog), Olivier Mellano (g), Sylvain Lemêtre (perc), Vincent Courtois (vlc), Himiko Paganotti (voc), Jeanne Added (voc), Bertrand Belin (voc), Laurent Valero (fl).

Label / Distribution : Signature/Radio France

John Greaves est un artiste élégant. On le sait depuis bien longtemps, à l’époque où le Gallois faisait résonner sa basse au sein de groupes estampillés de près ou de loin « École de Canterbury », tels que le libertaire Henry Cow ou le plus jazz-rock Hatfield & The North. On a pu aussi le trouver au générique d’une version live à la BBC de Tubular Bells en 1973, dirigée par Mike Oldfield, jeune prodige qui allait faire la fortune de Virgin Records et de son mentor Richard Branson, qui ne rêvait pas encore de vols spatiaux. Proche aussi de Robert Wyatt, on a vu John Greaves à l’œuvre il n’y a pas si longtemps aux côtés du North Sea Radio Orchestra (au sein duquel évolue Laurent Valéro, jamais loin du bassiste) lorsque son leader Craig Fortnam avait escaladé avec brio la montagne Rock Bottom dans une reprise intitulé Folly Bololey. John Greaves continue de faire vibrer cette corde ancienne, notamment dans les Echoes of Henry Cow du flûtiste Michel Edelin ou lors d’une résurgence de cette aventure sans équivalent sous le nom de… Henry Now, le temps d’un concert en Italie où l’on retrouvait en scène ses complices Fred Frith, Tim Hodgkinson et Chris Cutler.

Mais John Greaves est aussi un chanteur (souvenons-nous de l’album Accident en 1982) doublé d’un esthète prisant en particulier la poésie : en 2015, il célébrait Paul Verlaine (pour la troisième fois après Greaves-Verlaine et Divine ignorante), avec Verlaine Gisant et la complicité d’Emmanuel Tugny qui en signait les textes, sans oublier une distribution vocale hors pair (Elise Caron, Jeanne Added, Thomas de Pourquery). On n’est donc pas surpris de son désir de s’emparer de textes issus d’Alcools de Guillaume Apollinaire, une fois encore sur le label Signature de Radio France. En français ou en anglais, s’il vous plaît, les traductions étant celles de Samuel Beckett.

Si Zones bénéficie comme son prédécesseur de la guitare essentielle d’Olivier Mellano et de la voix de Jeanne Added, notons cette fois la présence de Vincent Courtois au violoncelle et d’Himiko Paganotti, tous deux étant déjà présents sur Life Size, un album « pop panoramique » que John Greaves avait publié en 2019. Il faut également souligner le rôle du récitant Bertrand Belin, qui marque ainsi la présence du chanteur dans un domaine à connotation littéraire guère surprenant de la part d’un chanteur jongleur de mots elliptiques s’adonnant aussi à l’écriture. L’album se révèle une longue et belle balade mélancolique – rien d’étonnant, nous sommes au pays d’Apollinaire – pimentée par l’accent inimitable de John Greaves lorsqu’il chante en français. Vous ne trouverez pas une faute de goût dans cette célébration aux couleurs vespérales, sous les effets d’une musique à la fois belle et presque impossible à chanter tant elle semble appartenir au langage intérieur de son compositeur. Un univers singulier qui « a la classe » et culmine en un somptueux « La Loreley » à vous tirer les larmes.