Scènes

Lava Jazz en essor aux Açores

Le festival Lava Jazz clôt sa quatrième édition et cherche à se faire connaître.


Les Açores © Camille Dalz’ovo

Il est des noms de destinations qui sonnent plus que d’autres. Les Açores en font partie. Cet archipel portugais, perdu au milieu de l’océan Atlantique, compte neuf îles dont la principale est l’ile de Pico, qui tient son nom du volcan qui la domine. C’est sur cette bande de terre au bout du monde que l’association Get Art œuvre depuis 4 ans à implanter le Lava Jazz Festival.

La présidente de l’association, Daniela Silveira, qui est aussi directrice exécutive du festival, s’est lancée dans cette folle aventure en 2019.
Amatrice de jazz, elle décide avec quelques camarades de créer un réseau de bars et restaurants dans lesquels des artistes locaux peuvent se produire ; des spectacles gratuits pour le public. Le succès est assuré dès la première année.
Une édition avortée en 2020 pour les raisons que l’on connaît ; l’équipe réitère l’expérience en 2021 et reçoit le même succès. Forte de ces deux années et d’un public conquis, l’association décide de passer à la vitesse supérieure en investissant le bel auditorium du quartier Madalena avec des artistes nationaux et internationaux.
Succès plus mitigé. Il faut comprendre que la culture sur l’île n’est pas une priorité ; ses habitants profitent de quelques animations gratuites tout au long de l’année, mais n’ont pas l’habitude de payer pour assister à des spectacles. L’année 2023 voit donc s’ouvrir la quatrièmee édition du Lava Jazz Festival, qui a eu lieu du 22 au 30 septembre.

Carlos Bica © Fábio Lima

Pour se faire, le festival frappe fort en programmant dès le premier soir la tête d’affiche, le contrebassiste Carlos Bica, l’un des musiciens portugais les plus intéressants de sa génération. Il est accompagné de José Soares au saxophone, Eduardo Cardinho au vibraphone et Gonçalo Neta à la guitare. Ensemble, ils livrent une performance exigeante et chaleureuse comme la rencontre entre des musiciens de différentes générations pour un même but : l’amour de la musique, du jazz et de l’improvisation.

Le lendemain soir, sur la scène de l’Auditorium, la chanteuse brésilienne Marilia Schanuel donne son dernier concert au Portugal. En effet, la carioca repart vivre au Brésil quelques jours plus tard. En parlant avec elle de son expérience portugaise et, plus largement, de l’accueil réservé aux musiciens brésiliens au Portugal ou en Europe, le constat est amer.
Marilia est née à Rio d’un père musicien, baigne dans la musique et commence à chanter très tôt. On compare souvent sa voix à celle de Gal Costa. Elle sort un premier album en 2011 et un autre en 2012. Elle souhaite tenter sa chance en Europe. Elle part en 2013 s’installer à Londres puis regagne Lisbonne l’année suivante pour intégrer l’université Lusíada Jazz au département jazz et musique moderne. Elle renoue avec sa langue natale et pense retrouver un peu de sa culture brésilienne à Lisbonne. Elle rencontrera pourtant de grandes difficultés à travailler au Portugal, dans un système un peu ancien qui met surtout en avant la musique traditionnelle. Même entre musiciens portugais et brésiliens, l’ambiance ne semble pas être au beau fixe : elle évoque une certaine « compétition » entre les premiers qui s’attachent à défendre leur héritage musical national, et les Brésiliens qui arrivent avec leur mixité pour bousculer les codes du jazz traditionnel local. Après dix ans passés au Portugal, la chanteuse admet aujourd’hui ne sans doute pas avoir fait le bon choix pour sa carrière en venant s’installer en Europe.

Marilia Schanuel © Fábio Lima

Pour ce dernier concert, on sent une vive émotion sur scène et dans l’assemblée, trop éparse malheureusement. Impossible de parler de la chanteuse sans évoquer son trompettiste, Diogo Duque, sans doute la rencontre la plus importante de sa vie puisqu’il est devenu le père de ses enfants. Sur scène, les nuances qu’il apporte mettent en valeur le tout et subliment la voix de Marilia et la musique du quintet, avec une décontraction déconcertante. Le pianiste Giovanni Barbieri, plus discret, ne démérite pas puisqu’il joue de la basse et du piano, accompagné par les prestations très inspirées de Rogério Pitomba à la batterie et de Djaman Faria à la guitare.

On retrouve le quintet le lundi soir à la Azores Wine Company. L’endroit est magique : une construction d’architecte au milieu des vignes, un rectangle en béton gris avec de grandes baies vitrées, classe et élégance à tous les étages. Dégustation de vins au rez-de-chaussée avec des chambres pour ceux qui auraient tendance à abuser du mot « dégustation ». Un restaurant à l’étage avec une vue imprenable sur les vignobles et l’océan. C’est dans cet écrin que l’on retrouve le quintet pour leur projet Samba Jarda Clube, ou l’adaptation de standards de samba en version jazz. Après un premier set timide - le public est en train de dîner - le quintet prend définitivement son envol au début du deuxième. L’arrivée de l’artiste Duane Forrest en guest dès le premier morceau permet au groupe de lâcher prise. Les sourires que les musiciens arborent ne laissent aucun doute et la contagion est rapide. Le quintet prend un plaisir incroyable à jouer et transformer les standards, à les étirer, les faire durer avec de formidables improvisations. La salle comble est enchantée, chacun repart avec le ventre plein, le sourire aux lèvres et un merveilleux goût de vin blanc dans la bouche, n’est-ce pas là le signe du bonheur ?

Jam Session © Fábio Lima

Il faut bien admettre que l’on se sent bien sur l’île de Pico, le décor est à couper le souffle, les lieux sélectionnés par l’équipe du festival sont splendides et j’y découvre un véritable art de la gastronomie et du vin. Le dimanche, j’ai pu assister à une jam session au Cella bar, bijou architectural en bois situé au bord de l’océan avec une terrasse extérieure au premier étage. La jam était animée par le trompettiste David Freitas, jeune talent né à Pico, actuellement en classe au Royal Birmingham Conservatoire.

La session est très bon enfant et les cinq jeunes musiciens travaillent leurs classiques. Ils seront rejoints ensuite par Duane Forrest et les musiciens brésiliens de Marilia. On sent bien que les musiciens expérimentés jouent de manière plus décontractée ; ils se regardent, s’amusent à changer de rythmes et se permettent de plus grandes improvisations, ce qui rend la jam plus vivante. Mais ces jeunes Anglais ne manquent pas de talent.
Ils jouent sur scène, pour la dernière soirée, à la Casa Âncora, magnifique restaurant au bord de l’eau à São Roque do Pico. Un décor aux allures scandinaves, minimaliste et raffiné.
Avec Reece Downton à la batterie, Nathan Evans au saxophone, Thomas Marsch à la contrebasse et Luca Gianassi à la guitare, le quintet de David Freitas propose des arrangements jazz de la musique populaire portugaise. Dulce Pontes, Mariza, Quim Barreiros, Carlos do Carmo, tous ces auteurs ont été revisités par le trompettiste grâce à un travail de recherche harmonique pour trouver dans le répertoire des titres qui s’adaptent au langage jazz.
Le résultat est réjouissant. Le public hésite, cherche à reconnaître les titres ; les improvisations sont très inspirées, notamment celles du contrebassiste Thomas Marsch. Il a sorti un album en 2023, What’s Wrong With Rain ? (Mynyw Records). On sent que ce musicien a des choses à dire et on s’impatiente déjà de voir la direction artistique qu’il va prendre.

Vignette © Fábio Lima

C’est l’heure du retour mais le festival continue avec d’autres groupes, comme Duane Forrest, le trio Vignette (Joao Barrada, Filipe Quaresma, Daniel Bernardes), Bárbara Maximono, l’orchestre des jeunes EBSSRP et le quintet de David Freitas.

Même si le Lava Jazz Festival peine encore à trouver son public, notamment autour des concerts payants à l’auditorium, l’ambiance qui règne sur cette île et dans l’équipe du festival est excellente. Une ambiance familiale pour un objectif noble, celui d’apporter une culture différente aux habitants de l’île, une culture jazz ouverte mais exigeante, concoctée autour de talents nationaux et internationaux et qui met en lumière la culture musicale populaire portugaise.
Pour les amateurs de jazz, de gastronomie et de vin (allez savoir pourquoi les trois sont souvent liés !), le Lava Jazz Festival est une occasion unique de découvrir les meilleures adresses de l’île en écoutant de la bonne musique dans un coin de paradis. Que demander de plus ?