Chronique

Matana Roberts

Coin Coin Chapter V : In The Garden

Matana Roberts (as, ts, ss, voc, perc), Mike Pride (dms, perc, voc), Matt Lavelle (cl, tp, voc), Stuart Bogie (bcl, cl, fl, voc), Cory Smythe (p, fl, voc), Mazz Swift (vln, voc, fl), Darius Jones (as, voc, fl), Ryan Sawyer (dms, perc, voc), Kyp Malone (kb).

Label / Distribution : Constellation

C’est toujours avec une pointe d’excitation et de joie qu’on découvre un nouvel épisode de Coin Coin, la grande fresque de la saxophoniste Matana Roberts qui livre avec In The Garden son chapitre cinq. D’abord pensé pour raconter l’histoire d’une esclave affranchie, voici quelque temps que l’œuvre de Roberts, ancienne de l’AACM, embrasse une destinée plus large : celle de raconter l’histoire des États-Unis du point de vue des exploités avec une vision très intersectionnelle. Après un remarqué Memphis, chapitre 4 qui abordait un meurtre par le KKK, In The Garden interroge toujours la mémoire du pays à la chaux vive, avec ce sens si particulier de la narration qui caractérise Matana Roberts. Avec un nonet totalement renouvelé à l’exception du batteur Ryan Sawyer, dont le rôle est crucial, la saxophoniste évoque la filiation et la transmission ; un sujet qui s’empare de la question du nom, devenu mantra : « My Name Is Your Name » sur le remarquable « For They Do Not Know » où les synthétiseurs de Kyp Malone donnent à la musique de Coin Coin de faux airs d’Alan Silva.

La musique de Matana Roberts est pleinement inscrite dans la tradition du free jazz, en ce qu’elle ne se laisse pas enfermer par les codes. Certes, « Other Each » est l’occasion d’un dialogue de soufflants abstrait et colérique, avec Darius Jones au saxophone alto et le duo Matt Lavelle et Stuart Bogie aux clarinettes, mais ce qui domine, ce sont les flûtes irlandaises jouées collectivement et qui inscrivent durablement Coin Coin dans un environnement : celui d’un certain folklore nord-américain qui teinte avec talent ce nouveau chapitre. On retrouve ici, et notamment dans « A Caged Dance », les élans de Mississippi Moonchile, le second volet d’une saga prévue pour s’étendre en douze parties.

Un retour en arrière ? Plutôt une façon d’illustrer l’hérédité, de lier le passé. La vision kaléidoscopique de Matana Roberts inscrit ainsi son histoire dans la durée, libérant un verbe qu’elle ne saura jamais plus éteindre. Coin Coin se théâtralise, à l’image de « Unbeknownst », sans doute le morceau le plus brillant de ce nouvel album, où l’on retrouve deux figures de la Creative Music actuelle, Mazz Swift au violon et Corey Smythe au piano. Avec In The Garden, Matana Roberts se pose plus que jamais en moraliste, au sens philosophique du terme. Elle n’ausculte pas seulement l’histoire des siens, elle porte le fer dans les plaies avec une colère froide. Coin Coin sera toujours un évènement emblématique.

par Franpi Barriaux // Publié le 7 janvier 2024
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