Chronique

Samuel Blaser

18 monologues élastiques

Samuel Blaser (tb)

Label / Distribution : Out There / Out Note

Quand on croit connaître le parcours d’un musicien aussi brillant que le tromboniste Samuel Blaser, c’est toujours étonnant et pourquoi pas déstabilisant de voir émerger un nouveau pan de sa personnalité artistique, d’autant plus si celui-ci se situe dans la franche la plus intime ; celle du solo [1]. De Blaser, tout a déjà été dit, croit-on : son adoubement par Pierre Favre alors qu’il dépassait à peine trente ans, sa collaboration presque aussi ancienne avec Marc Ducret et Gerald Cleaver, et son miroir tendu à la musique Ancienne avec Gerry Hemingway. Avec 18 monologues élastiques, il parvient néanmoins à nous surprendre. Et à nous ravir d’être ainsi pris à contre-pied. Dans un morceau comme « The Blues is Green », une poignée de seconde, il instaure un climat, un groove profond en quelques gestes de coulisses et des pas dans les escaliers.
 
Parce que ce disque est affaire de trombone bien sûr, mais aussi d’espace et de son, et c’est bien la nouveauté dans la panoplie de Blaser. On le savait capable d’à peu près tout avec une coulisse, mais pas à ce niveau d’abstraction et d’expérimentation. On l’avait laissé dans un blues matinal, l’helvète avait évoqué Jerry Roll Morton comme future ébauche, et le voici dans un projet très expérimental qui révère le son dans son approche physique et pure. Tout ce qu’on entend ici est un matériau brut, bon à sculpter. Résidant à Berlin, Blaser a investi le Funkhaus, gigantesque bâtiment survivant de Berlin-Est imposant par ses formes et ses matériaux. C’est un disque de trombone, mais c’est aussi un travail architectural. Avec Martin Ruch, un designer sonore allemand, il a donc cherché, jusque dans les toilettes de l’ancienne radio d’Etat, le son parfait pour exprimer toutes les possibilités du trombone et du volume des pièces. Tout y passe, de l’écho (remarquable « Glissandi » final qui permet de juger du gigantisme et des hauteurs de plafonds de ces murs en béton brossé !) jusqu’aux soudaines explosions, à l’instar de ce « Rotor Bursts » où les éclats du pavillon du trombone semblent parfois se téléporter, ou plus prosaïquement se jeter du haut du grand escalier.
 
« C’est un disque pour les fétichistes du trombone et les dingues de son » assène amusé Blaser quand il parle de 18 monologues élastiques. Plaidons coupables, mais il ne s’agirait pas de l’enfermer dans la case de l’anecdotique. D’abord parce qu’avec cette œuvre, il nous montre l’éventail des possibilités de ce formidable générateur de son qu’est le trombone et toutes ses techniques étendues. Ensuite et peut-être surtout parce qu’au milieu de cet enthousiasme communicatif, Samuel Blaser pose des jalons. Alors que quelques serrures cliquettent, on retrouve le « Missing Marc Suetterlyn » présent sur Early in The Mornin’. On y décelait déjà des filiations avec Mangelsdorff, elles apparaissent ici avec force et c’est une grande palette qui s’ouvre. Idem pour « La promesse de l’aube » où le travail de sourdine est hypnotique, ou encore pour « Waedamah » qui nous renvoie aux heures solennelles de Machaut. Samuel Blaser nous ouvre grand ses portes. Et toutes les pièces sont splendides.