Chronique

Michel Lambert

Ars Transmutatoria : Primati Primi

Michel Lambert (dms), Jeannette Lambert, van garden, beamer ! (voc), Matt Renzi (ts), Greg Burk (p), Federica Michisanti (b).

Label / Distribution : Jazz From Rant

Lorsqu’on utilise la peinture, il y a toujours deux phases : d’abord travailler la couleur, puis travailler la matière. En plasticien accompli, le batteur québécois Michel Lambert ne le sait que trop bien ; ses couleurs, il en avait montré quelques échantillons bleu, rouge puis orange et bronze dans des approches assez radicales, pour aller au plus profond du camaïeu ; voici le fond. Puis vient le temps de la matière, avec une approche plus globale, qui permet d’aborder la forme. Le travail de Lambert sur ses Ars Transmutatoria reste le même : offrir à la lecture ses partitions graphiques. Ici, avec Primati Primi, le percussionniste procède à une expérience italienne où la forme est celle d’un jazz qui laisse beaucoup de place à la voix, au milieu de chimères animales. Ainsi « Céphalopodes hybrides » a l’élégance nonchalante de la contrebasse de Federica Michisanti qu’on avait pu entendre avec Dominique Pifarély. Quant à la voix, c’est simple. Il s’agit de rester en famille [1].

La chanteuse Jeannette Lambert a déjà accompagné son compagnon dans ses Ars Transmutatoria. Dans « The Oriphant », elle apporte cette élégance légèrement ironique en discutant avec le piano de Greg Burk, pianiste installé en Italie qui accompagne à merveille ce doux clair-obscur que la batterie malmène. Plus loin, sur « Hyène aveuglée », c’est le Spoken Word de Van Garden et Beamer, les enfants du couple, qui vient colorer différemment ce voyage italien. Dans une approche non éloignée de ce que proposer Mike Ladd ou Edash Quata, les deux jeunes gens transforment totalement le climat qui se teinte de plus en plus de nuit, à l’image de « Wray Algue » où le saxophone de Matt Renzi souligne ce chant des profondeurs. Une musique qui capte, rêveuse et très contemplative, notamment grâce au travail discret mais bâtisseur de Lambert et Michisanti.

Primati Primi n’a rien d’un journal de bord romain de 2022. C’est une œuvre qui incarne réellement les partitions graphiques de Michel Lambert sur des temps plus longs, sur des articulations qui s’éloignent des monochromes proposés précédemment sans pour autant s’en départir. C’est une prolongation, une mise en situation différente et diablement réjouissante qui fait écho à Iku-Turso, précédente plongée finlandaise dans ces partitions graphiques que le couple Lambert interprète avec des musiciens d’Helsinki dans une démarche plus pastel, sans la synergie forte de ce très beau disque.

par Franpi Barriaux // Publié le 15 octobre 2023
P.-S. :

[1Voir notre interview.