Chronique

Murat Öztürk

Aïna

Murat Öztürk (p), Thomas Bramerie (b), Franck Agulhon (dms).

Label / Distribution : Mözarts / Musea

Mine de rien, voilà une vingtaine d’années que Murat Öztürk laisse entendre sa petite musique bien à lui. Si ce pianiste né en Lorraine d’un père turc et d’une mère italienne n’a pas grandi dans une famille de musiciens, il n’en a pas moins été bercé par des chansons entendues à la radio, souvent napolitaines et de ce fait romantiques et passionnées. Plus jeune, il voulait être guitariste de rock quand un beau jour, un ami lui a fait écouter du jazz : John Coltrane, Bill Evans, Keith Jarrett, Oscar Peterson… Un vent de liberté s’est alors mis à souffler doucement sur les images intérieures qu’il se projetait alors, comme un film mental peuplé d’ambiances brumeuses et de scénettes nostalgiques, et qui continue, aujourd’hui encore, à insuffler la vie à ses partitions.

Aïna signifie reflet ou miroir en persan : un titre qui ne doit rien au hasard car Murat Öztürk ne sait pas tricher avec les émotions qu’il transmet, et parce qu’il souhaite offrir le meilleur reflet de lui-même. Simple et délicat, sans mièvrerie aucune. Ce disque est le sixième album [1] d’un pianiste qu’on avait laissé, voici huit ans maintenant, avec Dün, un album voyageur en formation élargie. Cette fois, Murat Öztürk revient en trio, épaulé par une cellule rythmique sans faille, aguerrie notamment aux côtés de Pierrick Pédron ou d’Éric Legnini : Thomas Bramerie à la contrebasse et Franck Agulhon à la batterie. À lui de définir le cadre (climats et mélodies), eux ont carte blanche. On peut leur faire confiance pour porter l’ensemble à bout de bras et favoriser l’envol d’une musique dont la sensibilité et le lyrisme tendre affleurent derrière chaque note. « Polar », « Travelling », « Intérieur nuit »… Le cinéma de toujours, sans doute en noir et blanc, est bien présent, autant que les rêves (« La Vie rêvée ») ou l’enfance (« 10 ans ») pendant que d’autres échos, plus lointains, se font entendre : ceux de la musique romantique (« Call And Response »).

Aïna, disque dont la discrétion ne saurait occulter l’appel vibrant à la liberté d’être soi, est à sa manière un recueil de nouvelles qui se succèdent en toute fluidité, évoquant un monde refuge, comme une alternative aux violences de notre époque. Avec la mélodie comme langage remède.

par Denis Desassis // Publié le 10 juillet 2022
P.-S. :

[1Après Söyle (2002), Candies (2005), Crossing My Bridge (2009), Improvisions (2010, en duo avec Jean-Pascal Boffo) et Dün (2014).