Chronique

Poolplayers

Way Below the Surface

Arve Henriksen (tp) ; Benoît Delbecq (kb) ; Steve Argüelles (electr.) ; Lars Juul (dr)

Label / Distribution : Songlines

Quatre boules blanches (le groupe de Benoît Delbecq serait-il aussi adepte du billard comme peut l’indiquer son nom ?), électrons libres, pourtant très soudés, créent une musique singulière, d’une infinie douceur, lunaire. La pochette d’une remarquable sobriété plonge, non dans l’outre-mer, mais dans une couleur proche de l’I.K.B, ce pigment inventé par Yves Klein l’alchimiste.

La musique bruisse, souffle, soupire, vibre, plus aérienne qu’océanique, redisons-le, exquise. Sans harmonie ni thème réel, elle introduit des bruits fantomatiques, proches de la pulsation vitale, sans violence aucune. Il faudra seulement l’écouter assez fort pour ne pas sombrer dans un songe éveillé… Pourtant chaque instrument, parfaitement individualisé, joue une partie décisive dans l’alliage des timbres, la juxtaposition des couleurs de ces paysages oniriques.

Lors de la belle série de concerts du défunt Festival du Châtelet, en juillet 2006, loin de hurler de joie avec la foule des supporters d’Acoustic Masada (le même soir qu’une demi-finale de foot), nous avions déjà été sidérés par un concert d’Arve Henriksen des plus intimes, en sceonde partie de soirée, devant un fond bleuté, tout de sérénité et rigueur à la fois. Cet homme-là est prodigieux à entendre et à… voir. De petite taille, il tire pourtant des sons inouïs de son gosier, chante dans la trompette dont il joue aussi, en s’inspirant de Jon Hassell.
Il utilise toutes les potentialités de l’instrument pour en extraire les sons les plus divers, chuchote comme à demi-note, et inscrit de délicats entrelacs sonores ponctués de silences éloquents (le cliché a parfois du bon). Une musique rare, espacée, qui prend son temps, vagabonde mystérieusement sans que l’on comprenne où elle nous entraîne. Sans copier l’esthétique ECM, ce diable de Scandinave fascine par ses mélopées intemporelles. Le son d’une pureté extrême qu’il extrait de sa trompette de brume fait voyager immobile dans de grands espaces planants associés dans notre imaginaire à l’exotique mythologie nordique.

Le batteur Lars Juul porte l’ensemble ; on peut aussi apprécier sa plage en solo, « Two Fold ». Omniprésent, impulsant une énergie vitale, chtonienne, tout en roulements, grondements et scintillements de cymbales. Benoît Delbecq est toujours impeccable, qu’il égrène de fines notes perlées ou qu’il soit percussif au piano préparé (ou non). Difficile de s’y retrouver d’ailleurs, au milieu de ces trafiqueurs de sons : Steve Argüelles, aux effets, use de filtres, de logiciels inconnus des non-initiés. On est loin du jazz, mais plutôt dans l’expérimentation électronique, actuelle, improvisée en grande part. Alors qu’elle ne fait pas d’effort pour séduire, fort étrangement, cette musique est immédiatement accessible. Le seul risque est de ne pas rester suffisamment accroché le temps des neuf plages de Way Below the Surface (titre finalement explicite de l’album). Le travail de ces Poolplayers mérite pourtant que l’on se concentre afin ne pas les perdre en route et se frayer aussi un chemin… sous la surface. A suivre sans détour.