Scènes

Saint-Emilion Jazz Festival 2012

Du 19 au 22 juillet 2012 s’est tenue la première édition du « Saint Émilion Jazz Festival ». Histoire et perspectives de ce nouveau chapitre du roman « Jazz et Vins », qui n’en finit pas de nous tenir en haleine…


Du 19 au 22 juillet 2012 s’est tenue la première édition du « Saint Émilion Jazz Festival ». Histoire et perspectives de ce nouveau chapitre du roman « Jazz et Vins », qui n’en finit pas de nous tenir en haleine…

Le temps qu’une récolte succède à une autre, dans une région (la Gironde) dont nous avons souligné maintes fois qu’elle ne fait pas preuve d’une grande capacité d’innovation dans ce champ musical - même élargi aux « musiques improvisées » - a surgi le premier « Saint Émilion Jazz Festival », qui s’est tenu du 19 au 22 juillet 2012 dans des conditions climatiques parfaites (s’il fut arrosé, ce fut par d’autres voies que celles qui nous viennent du ciel, parfois capricieux dans cette région), et dans des conditions techniques et artistiques exceptionnelles.

Rien n’a été laissé au hasard : scènes multiples et superbement équipées, espaces réservés à l’accueil du public, la détente et la restauration, programmation de haut vol associant artistes largement médiatisés susceptibles d’attirer le grand public et musiciens plus confidentiels, quoique loin d’être des inconnus. Entre François Faure, pianiste bordelais secret et très talentueux, qui inaugura la série des solos de piano dans la salle des Dominicains, et le groupe réuni sous l’appellation « Earth, Wind And Fire Experience », qui eut le bonheur de conclure devant une assistance débordante, on a pu voir quelque quinze concerts : Zakir Hussain, Brady Winterstein, Jacky Terrasson, Malia, Michel Portal, Glenn Ferris, Minino Garay, Giovanni Mirabassi, Dee Dee Bridgewater, Brian Blade, André Ceccarelli, Jannick Top, Thierry Maillard, Alan Broadbent, Yaron Herman, entre autres.

Yaron Herman avant son concert, photo Ph. Méziat

Comment est-ce possible en des temps où l’on s’accorde à constater que la naissance de nouveaux événements culturels tient du miracle, surtout en matière de « festivals de jazz » ? Émilion, qui évangélisa la région au VIIIe siècle, fut paraît-il l’auteur de nombreux miracles, et brillait par sa générosité. Voilà qui explique bien des choses, si l’on ajoute qu’il s’est trouvé un successeur laïc en la personne de Dominique Renard, fondateur du festival et premier mécène de la manifestation. Jeune retraité - après quarante années passées dans le négoce bordelais -, résidant dans cette petite cité qui dépasse à peine les 2000 habitants, et formé dès sa prime jeunesse aux musiques rythmées en provenance de Bristol (suite au jumelage avec Bordeaux), Dominique Renard a parcouru le monde pour exercer son métier, et n’a jamais manqué une occasion d’y découvrir les musiques qui y naissaient. C’est ainsi qu’il a vite parcouru la totalité du champ musical (notamment grâce au festival Sigma à Bordeaux), et qu’il a voulu rencontrer le producteur Tommy Lipuma , dont le nom revenait sans cesse sur les pochettes de disques. Ce qui fut fait ; il en découla une amitié solide et de très longue date. On en dira autant de sa relation avec Robert Parker, qu’il connaissait bien avant que ce dernier ne devienne la référence (parfois contestée) dans le domaine de la dégustation des vins de notre vaste monde.

Les deux « présidents d’honneur du festival » (présents les quatre jours) étaient donc tout trouvés. Quand nous disons que Dominique Renard est le « premier mécène du festival », il faut entendre qu’il est pratiquement le seul, en tout cas celui qui aura assuré les arrières, c’est à dire les éventuels (et probables) déficits de la manifestation. C’est un choix, choix qu’il ne fera – si nous avons bien compris – qu’une seule fois de cette façon-là. Son but ? Se faire plaisir en montrant qu’un festival de cette dimension peut se tenir dans son village, faire plaisir à ceux qui l’ont accompagné dans cette aventure, et ainsi donner l’idée et l’envie que cela se poursuive – sur d’autres bases évidemment. Qu’on s’empare de la chose est son vœu le plus cher, qu’on lui donne une suite, éventuellement différente, son objectif secret. Reste aux différents acteurs locaux à s’organiser. Et sur ce chapitre nous serons clairs : il suffirait qu’une trentaine de grands châteaux acceptent de consacrer ne serait-ce que 10 000 euros chacun à la mise en place du festival, et il pourra devenir pérenne. Au regard des profits engendrés par la commercialisation des grands crus classés dans la région, c’est une somme on ne peut plus modeste.

Pour réaliser cette première édition, Dominique Renard s’est entouré de deux personnalités (agents ou ex-agents d’artistes) connues dans le monde du jazz, Christian Pégand et Christophe Deghelt, et d’un administrateur spécialiste de la mise en place de « grands événements » dans la région (le festival « Philosophia » par exemple), Éric Le Collen. Beaucoup de travail, une soixantaine de bénévoles issus du village et ses environs, et nous y voici, heureux d’y être conviés, de profiter de la musique et de quelques entours non négligeables…

Brian Blade et sa compagne, photo Ph. Méziat

Nous nous contenterons de livrer ici un rappel des « grandes heures » du festival en soulignant à quel point, avec quelques confrères journalistes ou photographes, nous nous sommes sentis réellement libres de travailler dans d’excellentes conditions. La liberté n’est pas un vain mot, elle ne s’achète pas, elle s’offre (ou se prend, mais là, nul besoin), et les musiciens que nous avons pu entendre ou approcher ont également témoigné de ces bonnes dispositions. Pas d’interdits massifs et autoritaires, une façon souple de gérer les rendez-vous, les séances de photos, et, au bout du compte pour beaucoup la venue de moments musicaux de grande qualité. Une seule réserve : les distinctions entre catégories de places : étiquetées de « High » à « Gradins » en passant par « Médium + » et « Médium » elles gagneront à revenir à des dénominations plus abstraites, genre A, B, C, etc.

Donc, et pour aller à l’essentiel, un grand concert de Jacky Terrasson en prélude à la sortie de son prochain disque, une sorte de « JATP » actualisé, avec succession d’invités et invitées souvent imprévus (on attend avec impatience de retrouver sur disque le « Je te veux » d’Eric Satie par Cecile McLorin Salvant), un rendez-vous très attendu avec un pianiste rare, Alan Broadbent, qui nous a gratifiés d’un récital somptueux (nous gardons en mémoire son « Django » et son « Lonely Woman », pour n’en citer que deux), une prestation un peu tardive mais exceptionnelle du formidable Brian Blade, et pour finir un récital de Yaron Herman d’une densité stupéfiante. C’est beaucoup en quatre jours, si m’en croyez, car la musique est une dame difficile à faire sortir de sa réserve… Moins convaincante à notre sens fut la prestation de Dee Dee Bridgewater, qui dégagea pas mal d’énergie et révéla beaucoup d’intentions louables, mais fut marquée par l’habituel excès en tout qui caractérise depuis longtemps cette chanteuse.

Tommy Lipuma, Alan Broadbent, Robert Parker et Dominique Renard, photo Ph. Méziat

Nous reviendrons pour finir sur quelques épisodes du roman feuilleton « Jazz et Vins » ; le chapitre récent (extraordinaire, telle l’intronisation de Tommy Lipuma, de Malia et de Jacky Terrasson dans la « Jurade des vins de Saint Émilion ») fut fort bien écrit. Quant aux autres… Si l’on excepte le concert offert à quelques « happy few » tous les ans depuis trois ans au Château Palmer (Margaux) pour la sortie des primeurs par la volonté de Thomas Duroux et où (ce n’est tout de même pas un hasard) se sont succédé Jacky Terrasson, Michel Portal et Yaron Herman, et cette année Mirabassi, Ferris et Boltro, c’est peu de dire que la région viticole ne brille pas par son investissement dans le spectacle vivant, et encore moins dans la musique.

Certes, « Jazz & Wine » (une marque déposée, comme l’indique clairement le site de l’association) fonctionne depuis quelques années en été et offre de bons concerts dans des châteaux ; toutefois, à notre connaissance, ceux-ci offrent le gîte et la dégustation, mais dès qu’il s’agit d’autre chose, ils ont tendance à regarder ailleurs… Pour comprendre un peu tout cela, sans doute faudrait-il distinguer entre opération de communication, qu’on peut faire rentrer dans un budget général afin de minimiser les bénéfices, et mécénat, qui permet seulement de défalquer des impôts les deux tiers de la somme investie. D’où un intérêt plus souvent marqué pour les résidences de plasticiens, réputés ou en voie de l’être, qui créent des œuvres éventuellement négociables, mais moins pour les musiciens, gens de théâtre et autres baladins qui ne laissent derrière eux que de formidables souvenirs – et encore, pas toujours ! Mais qu’est-ce que le mécénat, si ce n’est le don gratuit de soi et de ce dont on dispose ? En tous cas, Dominique Renard, lui, l’a compris en ce sens. C’est suffisamment rare pour être souligné.