Chronique

Samuel Blaser

Roundabout / Triple Dip

Samuel Blaser (tb), Russ Lossing (p), Billy Mintz (dms)

Label / Distribution : Jazzdor Series

Il y a dix ans paraissait A Mirror to Machaut, l’un des premiers coups d’éclat du tromboniste suisse Samuel Blaser, vite rangé - à juste titre - dans la catégorie des phénomènes précoces, puis des phénomènes tout court. Toujours extrêmement bien entouré, le jeune leader est également connu pour ses fidélités : avec Marc Ducret, duo infaillible, mais aussi avec le pianiste Russ Lossing qui était du Machaut. Roundabout, nom du premier disque de ce double album, est la signature de cette intimité, le trombone reprenant à son compte les circonvolutions mélodiques d’un piano volontiers concertant, pour une joute malicieuse qui tend vers un blues aux basses appuyées, langage véhiculaire de ces solistes. Plus loin, avec le malin « Blasercaglia », sorte de passacaille de guingois, Blaser et Lossing reviennent à des amours de musique ancienne dans un growl très étudié.

Si Roundabout est le lieu de l’intime, Triple Dip est le retour au trio, la forme la plus naturelle pour Blaser, celle qu’il développe par exemple avec Ducret et Jacek Bruun. Ici, à Lossing s’ajoute le batteur vétéran Billy Mintz, qui est connu pour son sens de l’essentiel : avec « A Presto », joué sur les deux albums, le piano très puissant de Lossing trouve un vrai régulateur, toujours sur la brèche. Ce solide canevas est le passeport de la liberté pour Blaser, qui s’offre des solos tranchants, la coulisse comme puissant accélérateur, rendant le propos plus soudain et explosif. Plus loin, avec « Root Beer Rag », le plaisir de jouer est à son comble, le piano cherchant dans ses basses pendant que Mintz se place en gardien jaloux de la cohérence d’ensemble. Triple Dip est joué gaiement, sans se conformer aux codes. C’est parfois débraillé, mais toujours très élégant.

Puisque la relation Blaser/Lossing est affaire de fidélité, difficile de ne pas mentionner aussi celle de Jazzdor, dont le label publie ce double album. Voici plus de dix ans aussi que le festival devenu label couve la carrière du tromboniste, dont ce disque est un des multiples jalons. Peut-être le plus décontracté d’entre eux, celui qui privilégie une sorte d’insouciance et de naturel, ce qui va de pair avec une liberté totale et revendiquée à l’image de « Kitchensleeper » ou de « Free Verse » qui fera penser à la Triple Entente que Mangelsdorff enregistra avec Pierre Favre, une autre figure très importante dans l’univers de Blaser.

par Franpi Barriaux // Publié le 3 mars 2024
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