Chronique

Sylvain Del Campo

Isotrope

Sylvain Del Campo (as), Manu Codjia (g), Juan Sébastien Jimenez (b), Matthieu Chazarenc (dms)

Label / Distribution : Aphrodite Records

Pour son quatrième disque en leader Sylvain Del Campo continue de porter les couleurs d’un be-bop énergique et moderne, en y intégrant des éléments qui donnent à chaque titre son cachet particulier ; tantôt il ramène la musique à des formes traditionnelles, (le blues « Miss Hind »), tantôt il la déplace dans l’espace (rythmes d’Afrique du nord) ou dans le temps (la rythmique binaire très actuelle d’« Au bout du chemin »)… Les directions proposées sont multiples, on le voit, mais le son du quartet reste égal à lui-même, puissant, solide, organique. D’où, peut-on supposer, l’isotropie suggérée par le titre de l’album. D’aucun parleront de cohérence, à juste titre, car à aucun moment le groupe ne confond « explorer diverses directions » et « partir dans tous les sens ». De fait, le discours collectif paraît acquis, fixé, mûr, basé sur des rôles bien définis : thèmes, chorus et contre-points sont assurés par le saxophoniste et Manu Codjia tandis que Juan Sébastien Jimenez et Matthieu Chazarenc prennent en charge la pulsation, garants souples et créatifs d’une énergie de tous les instants. Classique mais efficace.

Del Campo bénéficie donc d’un soutien idéal pour laisser libre cours à son enthousiasme et tirer de son saxophone alto de longues phrases tout en cascades d’accords et doigtés parfaitement en place. L’ensemble, ajouté à une jolie sonorité pleine de grain, confère à ses interventions une indéniable densité. Cette volonté d’occuper l’espace, d’épaissir le son, trouve un écho dans le jeu toujours inventif de Manu Codjia, qui enchaîne et superpose des couleurs inattendues, des traits lyriques, et ces harmonies tout en nuances dont il a le secret. L’heureuse association du saxophone et de la guitare donne lieu à de beaux moments durant lesquels l’étoffe harmonique tissée par l’une est imprimée des motifs vifs et colorés dessinés par l’autre. Le jeu de Codjia est aérien, celui de Del Campo ancré dans le sol. L’électricité et les effets s’opposent au souffle naturel. Les acrobaties du guitariste mettent en relief les phrases du saxophoniste et leur donnent de la profondeur. Ces deux discours, qui se succèdent, se juxtaposent ou s’imbriquent, se complètent parfaitement.

La vivacité de leurs échanges n’empêche cependant pas Jimenez et Chazarenc de travailler à chaud le matériel rythmique. Sur « Reflexion » et surtout sur « Ultimatum », le contrebassiste prend des soli courts et élégants, dans la continuité des propositions mélodiques dont il jalonne son jeu. Jamais en reste, le batteur, en plus de lancer des pulsations très diverses (swing ternaire, bien sûr, mais également rythmes d’Afrique du nord, influences électro smooth…), apporte une musicalité bienvenue.

Porté par l’efficacité du groupe et la qualité des musiciens, on parcourt cet Isotrope avec beaucoup d’aisance et on y revient pour le plaisir de se laisser porter par une musique à l’énergie communicative.