Chronique

Tony Hymas

Chroniques de résistance

Tony Hymas (p), Nathalie Richard, Frédéric Pierrot, Elsa Birgé, Desdamona (voc), Sylvain Bardiau (tp), Matthias Mahler (tb), Frédéric Gastard (bss), François Corneloup (bs), Peter Hennig (dms, bj)

Label / Distribution : Nato

Créé à Treignac à l’occasion du festival de Jazz Kind Of Belou, sur ce plateau de Millevaches qui fut un des bastions maquisards durant la Seconde Guerre mondiale, cet hommage du pianiste anglais Tony Hymas aux résistants se retrouve naturellement en disque chez nato. Ce label est en effet à la fois son port d’attache et une zone émancipée où l’on a toujours aimé donner la parole aux esprits libres et à leur mémoire. Hymas y multiplie les disques, notamment avec François Corneloup, que l’on retrouve ici. Résistance. Ce mot, organique dans l’œuvre de Hymas, est aussi inscrit au fronton de la maison nato. On se souvient notamment du double album Buenaventura Durruti, publié en 1996. Ce manifeste en forme de carrefour des générations de la musique improvisée et du jazz européen était un salut au héros libertaire de la Guerre d’Espagne. A plus d’un titre Chroniques de résistance en est la suite logique, et s’inscrit dans la même veine que Les Voix d’Itxassou de Tony Coe, autre affranchi de la couronne britannique.

La résistance vue par Hymas n’est pas l’idolâtrie beuglée par Mireille Matthieu dans Paris brûle-t-il ?. Georges Guingouin, Germaine Tillon, Addi Bâ… Les héros de ces chroniques n’ont guère eu les honneurs du Roman national. On sait depuis longtemps qu’il y a deux façon de célébrer les héros qui ont fait plier le nazisme et n’avaient réclamé la gloire ni les larmes : celle, vulgaire, qui conduit à fouler aux pieds la terre des Glières et celle qu’emprunte Hymas et sa colonne de musiciens, sur les mots de Robert Desnos ou de René Char. Hymas exprime une admiration absolue envers ceux que nul ne semblait […] voir français de préférence, énumérés dans un saisissant texte d’Armand Gatti. « Les cinq noms de résistance de Georges Guingouin » est lu par les comédiens Nathalie Richard et Frédéric Pierrot. Corneloup et Fred Gastard transforment le lyrisme des autres soufflants de Journal intime en de tranchants élans cubistes ; le tromboniste Matthias Mahler se révèle, tout au long de l’album, un dynamiteur de mélodie (« Du Mont Gargan à Limoges »). Quant à Sylvain Bardiau, sa trompette éclaire une reprise d’« El Paso del Ebro », référence nécessaire au Liberation Music Orchestra (« La Nueve »). Il en résulte une série de portraits qui s’enchaînent comme un processus dialectique en forme de fondu enchaîné qui file à toute vitesse vers les combats du moment, mis en perspective. Les textes claquent, les mots font mouche, notamment lorsqu’ils sont chantés par Desdamona, la figure du hip-hop de Minneapolis entendue ici avec Fantastic Merlins, Ill Chemistry ou Ursus Minor. Dans le remarquable « Letter to The Heroes of The French Resistance », où le batteur Peter Hennig distille un groove solide, sa scansion impeccable rappelle l’univers de ce dernier groupe, où l’on trouvait déjà, entre autres, Hymas et Corneloup.

Elsa Birgé, l’autre chanteuse, est un pont jeté entre Buenaventura Durruti et ces Chroniques de la Résistance : elle avait à peine dix ans lorsqu’elle chantait « c’est le pouvoir qui tue jusqu’à ses propres fils » sur « Vivan Las Utopias ». Elle a à peine vingt ans de plus quand elle pose ici cette voix acidulée qui fait aussi merveille avec Odeia. Sur des chansons en hommage à François Vidal (« Remembering Ponzán ») ou à la fougue du 17ème Barreau, ce groupe limousin à peine sorti de l’adolescence qui a payé cher son courage en 1943 (« Les flamboyants »), elle apporte sa justesse et sa connaissance des musiques traditionnelles de toutes sortes de pays pour apporter une dimension populaire piquante à ces chants, qui évitent ainsi toute tentation sentencieuse ou allégorique. Les arrangements luxueux et souvent audacieux de Hymas y contribuent également, principalement sur les morceaux courts qui servent de virgules entre les tableaux (« Tulle ») et donnent à ce disque un souffle galvanisant, bien servi par un livret documenté et merveilleusement illustré. L’hommage était nécessaire. Le disque, indispensable.