Chronique

Arroyo

The land behind us

Jérôme Mathevon (p), Olivier Pinto (b), David Carniel (dm)

Label / Distribution : Autoproduction

Il y a comme un tropisme pop/folk dans le jazz made in Marseille ces derniers temps. Après le dernier album de Christophe Leloil, « Open Minded », c’est au tour du groupe ARRoYo de déployer un univers sonore aux contours musicaux résolument contemporains - le disque a d’ailleurs été enregistré, comme celui du trompettiste, au studio Eole, dans la campagne aixoise, et l’on connaît l’appétence de Ben Rando, le boss du lieu, pour les propositions innovantes. De plus, les enregistrements ont été augmentés d’effets au studio Garlaban, réputé en Provence pour ses productions rock. Qu’il s’agisse de cadences harmoniques empruntant davantage à l’univers des « musiques actuelles » qu’au jazz conventionnel, de mélodies poignantes à souhait, de rythmiques binaires suffisamment amples pour donner à rêver, de cette voix féminine éthérée (un peu comme Julian Minkin ou Isabel Sörling), d’une guitare planante à souhait, d’effets savamment instillés dans les compositions aux mélodies accrocheuses… tout est réuni ici pour un voyage sensible aux confins d’univers musicaux souvent dissociés. Il convient d’ajouter à ces ingrédients la présence d’une voix masculine déclamant quelques poèmes originaux, un peu comme des slams.

Organisées à la manière d’une suite, les propositions coulent de source : le trio originel, nous invitant à intérioriser les sensations de mère nature, fait preuve d’une inventivité oscillant entre mélancolie (comme une forme d’éco-anxiété) et émerveillement (méchant sens du groove et de la mélodie). Entre les plages méditatives et les titres plus enlevés, ces compères, issus de la classe de jazz du conservatoire de Marseille dont Raphaël Imbert chante les louanges, savent mettre en valeur leur excellence musicale au service d’un jazz foncièrement écologique. Leur version de « Think of One » de Monk, binaire et funky, chantée (voire parlée, avec des paroles originales) et agrémentée de nappes de clavier électronique, montre bien que ces musiciens sont d’inlassables chercheurs en émotions bleutées. Un peu comme le gang de la clé à molette du romancier américain Edward Abbey, dont ils se réclament, se plaisait à saboter les chantiers d’aménagement routier dans l’Ouest américain sauvage, le groupe, lui, démonte les idiomes du jazz pour mieux en restituer les atours naturels.

Leur nom est une référence à ces ruisseaux éphémères des climats méditerranéens qui, tantôt peuvent être à sec ou réduits à quelque filet d’eau (comme un duo), tantôt peuvent devenir dévastateurs, emportant tout dans leur courant (comme un quintet). Certains morceaux intègrent cette ambivalence naturelle dans leur propre déroulement séquentiel (« La Guisane » notamment, superbe pièce dont le nom est emprunté à un affluent de la Durance, dans les Hautes-Alpes, menacé par le réchauffement climatique). Plus, le trio originel s’inscrit dans une démarche de coopération en s’autorisant à convier des musiciens supplémentaires à s’exprimer sur des compositions ouvertes à des improvisations partagées. On ne peut que se laisser emporter dans les flots de jazz, empreints de gratitude naturelle, de ce gang d’innovateurs.

par Laurent Dussutour // Publié le 22 janvier 2023
P.-S. :

Avec : Gaya Feldheim-Schorr (voc), Andrew Sudhibasilp (g), Henri Fernandez (voc)