Chronique

Ben Syversen

Cracked Vessel

Ben Syversen (tp), Xander Naylor (g), Jeremy Gustin (dms)

Label / Distribution : Autoproduction

Le jeune trompettiste Ben Syversen, encore peu connu en Europe, a pourtant fait récemment parler de lui lors d’une tournée dans l’Hexagone [1]. En 2010, en effet, ce pur produit de la scène new-yorkaise présentait un premier album autoproduit avec son trio, Cracked Vessel [2]. L’occasion de découvrir une musique très urbaine, loin du tonneau des Danaïdes qu’évoque le titre, et plus proche d’une luxueuse boîte de Pandore ; on y retrouve bien sur beaucoup l’influence tutélaire de Jim Black, mais à l’image de beaucoup des musiciens de cette génération, le trio trahit toutes sortes d’influences, du jazz le plus libre au rock le plus cru, en passant par un fumet de funk, pour distiller une musique anguleuse et très efficace.

Dès les premières notes de « Frontman », qui ouvre l’album, la trompette volubile et fragile de Ben Syversen semble tourner en cage sans trouver la sortie avant d’être rejointe par la frappe sèche et libératrice du batteur Jeremy Gustin… Puis de se heurter de nouveau à la guitare belliqueuse de Xander Naylor. Ce dernier, arrivé récemment après avoir écumé les clubs de Brooklyn, en est le vrai détonateur. C’est par son jeu urgent et émacié que se structure le son rugueux et très travaillé du trio. Parfois, les coups de boutoirs de Naylor peuvent même prendre la forme de longues vagues d’électricité envahissantes et fébriles qui viennent briser, par effet entropique, les mélodies nostalgiques de son leader (« Bad Idea »).

Au centre, Gustin assume tout autant le rôle de régulateur que celui, plus autoritaire, du cogneur apportant une dimension rock à un jeune trio très contemporain (« Fried Fruit ») et impose sa propre musique dans ce joyeux affrontement. Sylversen et Naylor semblent se jouer de cette apparente confrontation pour maintenir une tension permanente. Le son très pur, parfois doucereux de Sylversen (« From the Abyss », moment apaisé, presque pop, dans un album tout en tension…) se délite à mesure qu’il se confronte à celui de son comparse et prend alors une tournure plus acide, plus virulente ; le groove insolent d’un « Krazzle » révèle un jeu qui va chercher au plus profond de l’improvisation son souffle rocailleux, comme un funk réduit à sa plus simple scansion. La maturité, chez ce très jeune trio, saura certainement faire découvrir à un public plus large un trompettiste prometteur.