Chronique

Benoît Delbecq

Nu Turn

Benoît Delbecq (p)

Objet fascinant, irritant, têtu. Tel est le nouveau disque de Benoît Delbecq qui passe à l’exercice en solo après deux réalisations en duo (Piano Book et Dice Thrown), grâce au prix de la Villa Médicis qui lui a été attribué en 2001. Le pianiste qui a toujours évolué en groupe, avec par exemple Kartet ou son propre quintet Pursuit, franchit donc un nouveau cap (Nu Turn).

Le discours, ainsi mis à nu, semble se radicaliser. Il permet surtout de se rendre compte à quel point Delbecq est marqué par les musiques extra européennes.
Une bonne moitié des morceaux sont joués sur un piano préparé à l’aide de gommes et divers objets, et évoquent la musique noire africaine ou celle de Bali (on pense à la sanza, au balafon, à des percussions plus occidentales). D’où ce piano qui se fait véritable petit orchestre, nourri par une pulsation très dansante, et qui produit une musique mystérieuse, riche en atmosphères contrastées (par exemple sur le dernier morceau, une ambiance d’usine désaffectée).
La mélodie est expulsée au profit d’un discours sur les matériaux rythmiques et harmoniques. Une construction à la fois très mathématique et fugitive, voire brumeuse dans son utilisation du phrasé, de l’accentuation. C’est ce qui la rend volontiers rebutante - l’auditeur aura sans doute besoin de quelques écoutes prolongées pour s’y immerger entièrement.

On touche cependant les limites du concept si on veut parler d’émotion pure. Ce n’est pas forcément un reproche : la musique hardie de Delbecq stimule l’intellect et n’a pas vraiment pour fonction de toucher l’auditeur dans le sens classique du terme.