Chronique

Blue Note 60s Records (3) : Kenny Dorham

Trompeta Toccata

Kenny Dorham : tp ; Joe Henderson : tex ; Tommy Flanagan : p ; Richard Davis : b ; Albert Heath : dr

Label / Distribution : Blue Note

Le dernier album de Kenny Dorham (1924-1972) paru chez Blue Note fait référence à une forme musicale apparue à l’époque baroque. D’abord destinée aux instruments à claviers, la toccata est une structure libre partiellement improvisée. Elle met en valeur la virtuosité de l’exécutant ainsi que les qualités acoustiques de l’instrument. Enregistré en 1964, l’album Trompeta Toccata rend hommage aux musiques savantes européennes et témoigne de cet art du « toucher ».

Le morceau éponyme se distingue des productions contemporaines et passées du trompettiste. Les notes provoquent dès l’introduction un saisissement rare. Elles alternent ensuite avec une égale intelligence entre la stridence et la fragilité. Le grain feutré de l’instrument s’attarde dans le registre médium, puis habite les aigus avec une intensité croissante. Magnifiant le rôle de sideman, le saxophoniste Joe Henderson accompagne Kenny Dorham dans ses projections retentissantes. Une folie douce semble gagner les musiciens, d’abord contenue, puis intensifiée par le batteur Albert Heath qui élabore un rythme afro-cubain en 6/8.
Le lyrisme du leader contraste avec le jeu « à l’ancienne » du pianiste. Tommy Flanagan tempère la vivacité des solistes par des accords successivement énigmatiques et brillants. Responsable des riches contrastes du morceau, il offre à présent un solo d’une clarté apaisante. Le concept de « tension and release » est à l’œuvre, et son illustration se prolonge par l’intervention de Richard Davis. Accompagné par la pulsation feutrée des ballets, le contrebassiste alterne un jeu libre et des réminiscences du thème. Il poursuit sa remarquable improvisation en duo avec le silence. Le thème ressurgit alors et clôt la pièce telle qu’elle a commencé.

L’esprit manifestement blues des compositions « Night Watch » et « Mamacita » (une contribution de Joe Henderson), imprègne la suite de l’album d’un style un peu convenu. « The Fox », développé à vive allure sur une grille harmonique complexe, est plus audacieux. Aucun titre ne rivalise cependant en qualité avec le premier — ils ne font que souligner son caractère exceptionnel.

Traversant les époques, Kenny Dorham a participé à l’avènement du be bop puis du hard bop. Au cœur des révolutions musicales, celui que l’on surnommait « Quiet Kenny » pour son timbre rond et chaud signe une œuvre désinvolte aux accents latins et aux confins du blues.

1. « Trompeta Toccata » 12:20
2. « Night Watch » 5:43
3. « Mamacita » 11:01
4. « The Fox » 7:59