Chronique

Blue Note 60’s Records (2) - Pete La Roca

Basra

Joe Henderson (s), Steve Kuhn (p), Steve Swallow (cb)

Label / Distribution : Blue Note

Il arrive qu’un album parvienne à percer quelques-uns des secrets du plaisir sensoriel immédiat. Basra est de ceux-là. Son auteur, Pete La Roca (1938-) enregistre en 1965 cet unique opus en leader pour le label Blue Note. Le quartet réuni pour l’occasion élabore une œuvre exaltante (les formations de jazz emmenées par des batteurs sont trop rares : elles semblent pourtant établir un précieux équilibre des rôles parmi les musiciens.) L’album débute avec « Malaguena », pièce maîtresse aux accents mystiques qui rappelle « Olé » de Coltrane. Les envolées frénétiques du saxophoniste Joe Henderson explorent les contrées du jazz modal. À ses côtés, le pianiste Steve Kuhn maintient l’esprit du flamenco d’Ernesto Lecuona par un enchaînement dynamique d’accords.

Pete La Roca déjoue les pièges inhérents à son statut tant dans le blues « Candu » que sur les 32 mesures du plaintif « Tears Come From Heaven ». Il ne brutalise jamais la musique, mais veille continuellement à sa respiration. Steve Swallow parcourt les registres extrêmes de la contrebasse, ponctuant sobrement chacune des compositions. Sa remarquable introduction sur « Basra » inspire le saxophoniste, qui prend son essor à l’occasion d’une improvisation entêtante aux modulations orientales. Basé sur un seul accord, ce morceau illustre l’intérêt de Pete La Roca pour la conception mélodique « horizontale » de la tradition indienne. Tout comme « Malaguena », il se distingue par la cohérence du processus rythmique et le pouvoir ensorcelant des improvisations.

L’originalité des compositions n’est peut-être pas l’atout majeur de cet album, mais le caractère non essentiel des thèmes confère un charme particulier aux propositions modales, qui évoluent par touches successives. La progression des morceaux résulte ainsi de l’instantanéité de la création. Tour à tour investis d’un rôle privilégié, les musiciens répondent judicieusement aux interventions du leader. Avec la ballade « Lazy Afternoon » puis « Eiderdown », signé Steve Swallow, le groupe conclut idéalement cet épisode de jazz pénétrant.

Rien ne vient restreindre l’expression - ni la notoriété oppressante d’un leader, ni les impératifs de rentabilité commerciale. Méconnu, ce disque occupe une place de choix parmi les pépites que Blue Note a eu la clairvoyance de produire dans la profusion musicale des « mid 60’s ».

1. Malaguena 9:00
2. Candu 6:43
3. Tears Come From Heaven 4:58
4. Basra 9:56
5. Lazy Afternoon 5:29
6. Eiderdown 4:28

(1965)