Cœur de Bossa, Astrud Gilberto s’en est allée
Disparition, ce 5 juin 2023, de l’emblématique voix de la Bossa Nova
- Astrud Gilberto - PWA zaal - North Sea Jazz Festival - Den Haag, 15 juillet 1989. © Pierre Vignacq
Ce 14 juillet 1989, alors que Paris tout entière se consacre au bicentenaire de la Révolution, quelque 450 kilomètres plus au nord, trois Français égarés bondissent comme un seul homme de leur siège au cœur de l’immense Prins Willem-Alexander Zaal de La Haye. Sur la plus grande scène du North Sea Jazz Festival, le festival, pour eux, vient d’être lancé : Stan Getz boucle un break de quatre mesures, citant note pour note l’ouverture de La Marseillaise. Pas de hasard. Pour le reste, le saxophoniste, en symbiose avec un lumineux Kenny Barron, signera un concert comme on appose son sceau au bas d’un testament.
Le lendemain, sur la même scène, fringante au cœur d’un écrin de talents brésiliens, Astrud Gilberto revisite pour ses inconditionnels, sans fioriture et sans saxophone aucun, l’histoire d’une Bossa Nova qui lui a tout donné en échange d’une impérissable image carioca et d’une non moins éternelle voix, unique de suavité, reconnaissable à la première syllabe susurrée, à jamais vouée au style qui la fit naître et vivre. Ainsi en va-t-il de certaines âmes.
Aucun doute que les témoins de ces deux concerts auront rêvé la rencontre, la retrouvaille des deux artistes. La programmation à vingt-quatre heures près, dans la même salle, l’intervalle historique de quelque vingt-cinq ans, tout était fait pour, un vrai complot vous dis-je… Eut-elle lieu ? L’Histoire sut rester discrète et c’est très bien ainsi, tant le secret nourrit le rêve, et le rêve la mémoire.
Ce 5 juin, à la veille de l’anniversaire de la disparition de Getz, Astrud s’en est allée, dans la lumière tendre d’un soir d’Ipanema ou d’ailleurs, et le vent a bien dû se faire l’écho d’une petite voix, drapée des volutes de velours d’un ténor chaleureux.