Chronique

[DVD] Baden Powell

Live

Label / Distribution : Frémeaux & Associés

« Le Ghandi de l’âme brésilienne ». Magnifique formule pour définir Baden Powell, trouvée par Claude Nougaro à la toute fin de ce DVD lors d’un émouvant entretien entre le maître carioca et le Toulousain.

Emouvant car, bien sûr, les deux poètes ont désormais disparu, mais aussi car Nougaro se livre, parle de sa conception de l’écriture, explique que le titre « Berimbau » de Baden Powell lui a procuré une sensation très visuelle, instantanée, de la misère et des favelas, à partir de laquelle il a écrit, sur cette musique, les paroles de sa chanson « Bidonville ».

Le DVD est équilibré, avec trois parties d’une heure chacune : Baden Powell en solo, puis en trio, et enfin les entretiens. Des concerts et des interviews datant de mars 1999, un an et demi avant la disparition du guitariste. Les deux concerts, enregistrés au Petit Journal Montparnasse, sont parfaitement complémentaires : en solo, Baden Powell
explore les racines les plus profondes la musique brésilienne et démontre sa totale maîtrise de la guitare, plus particulièrement le très grand contraste qui caractérise son interprétation : de la caresse à la gifle, la relation à l’instrument peut être aussi douce que violente. D’un titre à l’autre, et parfois même au sein d’un même morceau, ce contraste est saisissant, comme sur la variation autour du « Asa Branca » composé par Luiz Gonzaga ; le morceau débute par un déferlement d’accords violemment grattés, parfois à l’aide d’une technique proche du flamenco, pour s’arrêter quelques instants,
dans l’oeil du cyclone, sur un passage à la douceur d’une comptine. Et de repartir de plus belle, les cordes près de rompre… Et toujours, le visage de Baden Powell pendant ces interprétations, parfois judicieusement cadré en gros plan : impassible, concentré, appliqué, d’un calme olympien. A la fois triste et apaisé, comme une représentation humaine de l’intraduisible saudade. Comme si toute son âme se transmettait dans la
guitare.

Ce qui doit être le cas si l’on se fie à son interprétation magistrale de « Samba do Aviao », morceau d’ailleurs couramment joué par Powell avec ce son qui le caractérise en alternant notamment des attaques très sèches grâce à un positionnement de la main droite très près du chevalet et, à d’autres moments, des notes étouffées par la paume ; on en oublie que c’est le grand Jobim qui a composé ce titre. La personnalité musicale de Baden Powell est telle qu’il s’approprie totalement les morceaux qu’il interprète. On pourra s’en convaincre en écoutant les titres d’autres compositeurs, des standards brésiliens de la jeunesse de Baden Powell tels que « Naquele Tempo » de Pixinguinha ou « Lagoa de Abete » de Dorival Caymmi. A chaque fois, Baden Powell est immédiatement identifiable grâce à ce savant mélange de rythme, d’ornementations et d’austérité. Tout comme sur sa propre composition « Samba Triste », sommet du
genre composé à l’âge de seize ans. Le solo semble vraiment la formule idéale pour le musicien, lui permettant de dérouler ses propres idées rythmiques et harmoniques au fil des morceaux, sans se soucier d’avoir à respecter une durée précise ou une structure définie avec d’autres musiciens.

Dans le concert en trio, logiquement les morceaux sont plus courts et plus structurés ; on découvre également les talents de chanteur de Baden Powell - dans la plus pure tradition de la bossa nova : doucement, les paroles susurrées, la bouche collée au micro. Le guitariste est accompagné d’un flûtiste saxophoniste et d’un percussionniste, qui nous gratifie d’une superbe introduction au berimbau de la chanson éponyme, ici dans une version de plus de douze minutes. Après la performance en solo que l’on vient de voir, on peut être surpris par l’humilité de Baden Powell, qui s’abstient quasiment de toute improvisation, se limitant le plus souvent au rôle du chanteur qui s’accompagne à la guitare.

Enfin, les entretiens : on l’a vu, le DVD se clôt par un entretien de trente minutes avec Claude Nougaro, mais auparavant on peut voir également une (courte) interview de Baden Powell, ainsi qu’un entretien avec l’auteur Pierre Barouh, un vieil ami qui a largement contribué au lancement de sa carrière française. Que ce soit avec Nougaro
ou Barouh, les entretiens sont empreints de beaucoup d’émotion, car ce sont également des retrouvailles, et c’est un peu, d’ailleurs, le travers de ces discussions : on y évoque des souvenirs, la première rencontre, l’arrivée à Paris, la première partie de Brel, la séance studio pour enregistrer « Brésilien » ; Baden Powell écoute attentivement et apprécie en connaisseur une version récente de « Bidonville ». Les entretiens ont un côté convivial qui donne l’impression au spectateur d’être dans la pièce. Revers (minime) de la médaille : ces conversations n’étant pas réellement canalisées, elles se situent généralement à un niveau anecdotique et l’on n’apprend presque rien sur l’approche de la composition chez Baden Powell, sa manière d’intégrer les rythmes africains aux musiques traditionnelles brésiliennes. Le maître garde ses secrets… mais sa musique reste présente, éternelle.