Chronique

Daniel Humair

Liberté surveillée

Daniel Humair (d), Marc Ducret (g), Bruno Chevillon (b), Ellery Eskelin (ts).

Label / Distribution : Sketch Records

C’est dans la chaleur torride du Centre Culturel Suisse à Paris, que Daniel Humair a enregistré trois jours durant son nouveau disque (nous étions au mois de juin). Avec lui son trio, avec lequel il avait déjà gravé quatre titres « Quatre fois trois » (notamment la géniale reprise des Oignons de Sidney Bechet) et Ellery Eskelin, saxophoniste majeur de la scène actuelle.

La très bonne idée, c’est d’avoir enregistré, non pas dans l’atmosphère un peu castratrice du studio, mais devant un public venu en nombre. La musique s’en ressent bien entendu, les morceaux sont étirés, les changements de cap fréquents. Jusqu’à un certain point : on n’est pas non plus dans l’atmosphère d’un club et la musique ne part pas à droite et à gauche. Liberté Surveillée, on nous avait prévenu.

Dans ce double album (là aussi c’est plutôt rare et c’est à souligner), il y a la fougue et l’inventivité de ce trio résolument tourné vers la modernité, cette volonté d’arpenter des terrains vierges. On pouvait compter là dessus avec Ducret par exemple, dont on redécouvre avec plaisir, le versant plus « jazz » de son jeu. Moins de saturations, plus d’architecture, et toujours cette fabuleuse assise rythmique. Modernité donc et ceci sur un répertoire des plus pertinents, quelques classiques que connaissent ceux qui suivent les différentes aventures de Daniel Humair (Kühn, Jeanneau, Portal), un thème plus avant-gardiste sous forme de questions-réponses (Marc Ducret). Deux ballades de toute beauté aussi, Salinas de Kühn, et Ira Song du batteur où Chevillon fait parler sous ses doigts le drame du peuple irlandais. C’est ce qu’on appelle la profondeur, elle est le signe des maestros.

Autre signe : toute la dimension orchestrale de la batterie du leader se retrouve pour notre plus grand plaisir. La frappe d’Humair est resplendissante de richesse et de diversité rythmique.

Quand à Eskelin, s’il assume parfaitement sa place d’invité, il ne trouve certainement pas toute la superbe qu’on lui connaît sur ses propres enregistrements. Disons simplement qu’il tire bien son épingle du jeu. Malgré cette petite remarque et si on ajoute à cela une prise de son impeccable, on obtient un disque qui fait l’évènement.