Entretien

Michel Edelin

« Jazz around Tosca » - Rencontre avec un flûtiste qui se fait trop rare.

Si la flûte est rare en jazz, Michel Edelin a choisi de jouer de cet instrument de manière exclusive. Sa sonorité aérienne et anti-académique peut surprendre, mais sa musique a trouvé une résonance auprès de Jacques Di Donato notamment, ou des deux F (François Méchali, et François Couturier... Ils se retrouvent à nouveau pour une relecture originale de La Tosca, l’opéra de Puccini, projet créé en quartette à la Fête des Jazz.

  • Comment est venue l’idée de travailler autour de l’Opéra de Puccini ?

C’est très simple, on a toujours eu envie de travailler ensemble avec cette formation. Le précédent projet du quintet tournait autour des « Parapluies de Cherbourg », et on a fait un disque chez Charlotte il y a 6 ans. Il faut dire que nous sommes des complices de longue date, avec les deux François, Méchali et Couturier, ça fait…je ne vais pas le dire parce que ça va me vieillir d’un seul coup ! Di Donato, je le connais aussi depuis longtemps mais on s’était un peu perdu de vue, du fait de sa double activité en jazz et en musique classique.

  • Le choix de La Tosca ?

C’est la conjonction de plusieurs idées. J’ai assisté à La Tosca quand j’avais 12 ans à l’Opéra Comique. Choc, je n’en sais rien, mais souvenir en tout cas. Je suis probablement passé à côté, à 12 ans on n’est pas très sensible aux voix, enfin moi je ne l’étais pas. C’est venu plus tard, cette accroche sur la voix.

La deuxième idée vient d’une conversation avec Gérard Terrones, où il m’a dit : « Il y a les saxophonistes, il y a les chanteurs, et enfin les chanteurs-saxophonistes, Ayler, Coltrane, ceux qui jouent comme des chanteurs ». Les grands airs de l’Opéra populaire, au bon sens du terme, fonctionnent comme les grands airs d’Ayler, ou du Coltrane des dernières années ou même de Naima. C’est le même souffle, la même passion, le même lyrisme pour employer ce terme.

Et puis c’est l’existence même de mon quartette avec Simon Goubert, Jean Jacques Avenel et Jacques Di Donato qui pour moi a changé beaucoup de choses. Ils m’ont mis dans une situation où j’ai été obligé de jouer autrement. Donc cette découverte d’un nouveau son, d’une nouvelle répartition des rôles. Toutes ces questions : qu’est ce que c’est qu’une flûte ? Qu’est-ce que faire du jazz ? - c’est pas forcément ‘cha-ba-da, cha-ba-da’ - plus cette idée de grands airs et le souvenir de Tosca, la réunion de tous ces musiciens … tous ces éléments ont permis d’ aboutir à ce projet.

  • Comment s’est passé le travail d’arrangement autour de la musique de Puccini ?
    La version de 1953, dirigée par de Sabata avec La Callas et Tito Gobbi, c’est THE version* m’a-t-on dit, il y en a d’autres, mais c’est celle que j’ai et c’est monstrueux !

J’avais écrit des arrangements, mais presque tout de suite on s’en est écarté, on a juste conservé certaines choses en référence, pour faire différemment. Pour créer autre chose, il faut un point de départ solide.

La musique évolue en fonction des thèmes et des arrangements dont on dispose, mais aussi selon l’humeur et avec notre habitude de jouer ensemble : il suffit d’un coup d ‘œil, d’une note qui part, d’un rythme, pour savoir que l’on va pouvoir se lancer...

L’idée, c’est d’improviser dans le but d’arriver à un thème de Puccini ou de partir d’un thème pour arriver à une impro ; ou encore d’improviser, puis de saisir un thème qui passe… C’est ainsi que cela s’appelle ‘Et la tosca passa’… Et si on espère qu’ elle apparaisse au bras d’Albert Ayler et de Coltrane au fond de la salle pour dire bonjour, cela viendra un jour !

  • Le travail de la flûte en jazz, difficile à expliquer peut-être, mais qu’est ce qui sonne différent ?
    Tout d’abord la flûte a un petit niveau sonore et une bande passante assez restreinte, sauf chez les très grands flûtistes qui sont capables de sortir un do grave et de réveiller deux mille personnes dans une salle. Mais il s’agit alors de technique classique, utilisée pour la musique classique.

Il y a une littérature qui fait que l’on entend la flûte, même dans un concerto de Mozart… c’est écrit pour ça. Dans le jazz, le flûtiste doit lutter contre une batterie, même si ce n’était pas le cas dans le quartette, ou contre d’autres instruments bruyants. Quand on est un leader, il est parfois difficile de s’imposer pour diriger « son » idée. Enfin j’appelle leader, même si cela n’existe pas, celui qui a une idée, qui choisit les thèmes du disque à enregistrer, qui téléphone pour avoir des concerts : ce n’est que cela un leader, cela ne va pas plus loin.

Quand la sono est bonne, cela ne pose aucun problème.

Mais cet instrument n’appartient pas à l’histoire du jazz, mais à l’histoire de la musique classique. L’histoire du jazz est faite par tous les instruments de la rue, ceux qui « font du bruit » ou qui ont des harmoniques riches : la clarinette, la guitare.

  • Alors justement comment vivez-vous ce paradoxe ?

Bien, çà va bien merci ! Non, je le vis très bien : au contraire, cela m’oblige à trouver autre chose, à chercher en permanence à déjouer les pièges. Mais la flûte n’est vraiment pas l’instrument de jazz par excellence !

  • Avez-vous une formation classique ?

Non, je suis autodidacte, et j’ai beaucoup joué avec les autres : l’autodidacte, c’est celui qui rencontre et qui est « poreux ». C’est vrai que j’ai pris des cours de flûte classique, avec un ami qui a cette formation et qui m’a donné des conseils, mais rien à voir avec des études classiques.

  • Vous êtes un des rares flûtistes, uniquement flûtiste, les autres musiciens sont en général polyinstrumentistes.
    C’est vrai, il y a aussi Denis Barbier qui joue très bien : il a joué dans un ONJ, il est dans le Big Band Lumière de Laurent Cugny. Sinon, il existe des saxophonistes qui jouent très bien de la flûte, mais qui ne la sortent pas toujours, parce qu’effectivement avec un saxophone, on s’impose plus facilement : on entend un son et il se passe quelque chose. A la flûte, on entend un son et il ne se passe pas forcément quelque chose.

J’ai joué avec Dave Valentine il y a quelques années, un maître avec un très beau son techniquement et rythmiquement . C’est Porto Rico avec toutes ces musiques qu’il joue merveilleusement bien, et qui plaisent au grand public. Il m’a dit que si j’avais joué du saxophone, je serais connu comme Dave Sanborn. Jouer de la flûte n’est pas choisir la voie de la facilité en jazz.

  • Vous jouez de la flûte basse, alto et traditionnelle, comment choisissez-vous de jouer de l’une plus que des autres ?

Tout dépend en premier de la conformation du morceau : si c’est un truc qui va « péter les flancs », je ne vais pas prendre la flûte basse, qui a un tout petit niveau ; si la sono est mauvaise, elle ne passera pas. L’alliage des sonorités avec la clarinette, ou le saxophone constitue aussi une particularité : l’agencement des sons, des unissons est assez particulier avec Jacques [Di Donato]. Alors il choisira la clarinette basse, je pense, de façon à avoir les trois étendues.

  • Y aura-t-il un album sur « Round Tosca » ?
    Le disque ne va pas sortir pour l’instant parce qu’on est en train de monter le dossier, c’est à dire de chercher l’argent, mais le projet est engagé à 90%. Si tout va bien, à l’automne on enregistre en formation complète, c’est-à dire en quintette. Aujourd’hui, à la Fête des jazz, manquait en effet Daniel Humair. C’était la première fois que l’on a joué en quartette ce programme. Cela nous ouvre des perspectives : notre ensemble est ainsi à géométrie variable, en quintet et quartet. Non pas que Daniel ferme la porte, mais son absence nous a obligé à trouver d’autres choses.

Discographie

  • Le Chant des Dionysies : Edelin, Méchali, Charlotte /Night and Day, 2000.
  • Déblocage d’émergence : Michel Edelin 1995 (indisponible)
  • Round about Les Parapluies de Cherbourg : Michel Edelin Quartet, Charlotte 1995 (indisponible)