Chronique

David Rogers

The World Is Not Your Home

David Rogers (ts, perc), Craig Taborn (p), Marion Hayden (cb), Gerald Cleaver (dms), Mark Stone (perc), Derek Dermel (perc, cl)

Label / Distribution : Jumbie Records

Ici la musique est ouverte aux influences du monde, qu’elles soient africaines (le morceau-titre, « Oboo Ketua Nyom »), afro-cubaines (« La isla de Reyes ») ou nord-américaines (« Don’t Drop That Coffin ! »). Les morceaux apportent tous une couleur rythmique et mélodique différente à l’album, qui n’en est pas moins d’une grande cohérence — tel est le talent de David Rogers, fortement marqué par son apprentissage auprès d’un maître ghanéen, et dont on sent ici l’amour pour ces cultures. Un grand humanisme émane de « The World Is Not Your Home » (tout un programme !), pour lequel il est accompagné par un trio classique piano-contrebasse-batterie et, sur la plupart des plages, par diverses percussions (xylophone dagara, clave, talking drum, etc.) plus une clarinette (Mark Stone et Derek Dermel). D’un morceau à l’autre, voire à l’intérieur de certaines compositions, Rogers s’appuie donc sur un groupe à géométrie variable, toujours au service de sa musique et de son propos. Le morceau titre en est le parfait exemple : une superbe introduction à la clarinette laisse place à une profusion de percussions instaurant des rythmes issus du nord du Ghana. S’ensuit un long développement avec le quartet saxophone-piano-contrebasse-batterie dans une veine très jazz. Puis retour à la clarinette et aux percussions. Et il en est ainsi tout au long de l’album.

David Rogers fait la part belle à la mélodie, aux parties écrites, jouées à l’unisson par le saxophone et le piano. La construction des morceaux est somme toute classique mais la qualité de l’interprétation telle que cette musique procure un grand bonheur d’écoute, sans temps mort. Le voyage proposé nous fait traverser des paysages fantasmés, avec un lyrisme, une fraîcheur et un naturel des plus agréables. Pas d’effet de mode ici, ni d’universalisme naïf. Loin d’être un prétexte débouchant sur une structure vide de sens, les influences enrichissent la musique. Rogers est superbement entouré : Gerald Cleaver, à la batterie, se renouvelle en permanence, Craig Taborn confirme qu’il est bien l’un des pianistes les plus intéressants du moment. Quant à Marion Hayden, elle est, avec David Rogers, la révélation de cet album. A la fois puissante et mélodiste, elle est le pilier de cette musique, surprenante de justesse tout au long des sept morceaux.

Une question se pose : comment cet album et son auteur ont-ils pu passer quasi inaperçus jusqu’à présent ? David Rogers est une belle découverte et mérite de bénéficier d’une plus large reconnaissance. Espérons que The World Is Not Your Home ouvrira la voie.