Chronique

Deniz Peters & Simon Rose

Edith’s Problem

Deniz Peters (p), Simon Rose (bs)

Label / Distribution : Leo Records/Orkhêstra

Il y a des musiques qui se ressentent avant de s’écouter. Il ne s’agit pas d’abstraction ou encore de sixième sens, plutôt d’une vraie sensation physique, entre la bourrasque et le frottement d’une matière rugueuse qui grifferait sans écorcher. Edith’s Problem, première rencontre du saxophoniste baryton Simon Rose et du pianiste autrichien Deniz Peters, est de celles-là. Une sorte d’intensité intangible mais non vaporeuse offerte par des improvisateurs qui se livrent à travers quatre mouvements aux intentions distinctes mais toujours furieusement denses. A commencer par les deux parties de « Between » qui situent idéalement les forces en présence : le piano aux accords complexes qui infuse le silence d’un écho persistant et le baryton qui s’agrippe à son souffle comme s’il pouvait se briser.

On pourrait imaginer cette musique revêche, voire hostile. En tout cas marquée par un ascétisme conçu pour devenir une pierre angulaire. Il y a certes dans « Hinges » une véritable économie de sons. Les cordes frémissent mais elles sont étouffées. Les tampons du saxophone claquent telle une rythmique sourde. Mais soudain, une plainte vient déchirer le brouillard et créer d’autres mécanismes. C’est un afflux sanguin qui palpite et l’on est rappelé à cet échange de musiciens qui cherchent à parler d’une même voix mais ne veulent pas s’encombrer du consensus.

Rose, également auteur de recueils universitaires sur l’improvisation, n’est pas à son premier duo avec un pianiste. Récemment, on a pu l’entendre avec Stefan Schultze. Mais cet album avec un musicien peu connu et manifestement influencé par la musique contemporaine - en témoigne son jeu très concertant dans les basses telluriques de son compagnon sur le long « Shifts » - est certainement l’un de ses plus charnels. Il y a souvent quelque chose qui tient du corps-à-corps, telle cette première partie de « Resonance » : durant cinq minutes où chaque souffle et chaque frappe est compté, le saxophone joue littéralement dans le piano. Pas avec ou ensemble : dans, mettant chaque corde en sympathie avec la puissance de son souffle comme si elles étaient portées par la brise. On y croise aussi les mains du pianiste qui vient pincer quelques cordes pour tenter de rompre un charme. C’est l’auditeur qui est envoûté.