Chronique

Dinamitri Jazz Folklore

La società delle Maschere

Dimitri Grechi Espinoza (as, ss), Emanuele Parrini (vln, vla), Beppe Scardino (bs, bcl), Pee-Wee Durante (cla, elec), Gabrio Baldacci (g), Andrea Melani (dms), Simone Padovani (perc), Piero Gesuè (voc, 5, 6)

Label / Distribution : Rudi Records

Absolument habité par les diverses pulsations qui hantent le continent africain, le saxophoniste italien Dimitri Grechi Espinoza a créé il y a plus de dix ans le Dinamitri Jazz Folklore, octet de combat qui s’est assigné la tâche de tisser des liens entre le jazz le plus bouillonnant et les transes africaines. Volontiers spectaculaires, les musiciens montent sur scène parés de masques d’osier qui contribuent à renforcer l’impression d’approche collective. Ce propos nerveux lorgne tout autant vers l’exubérance de Sun Ra que vers la sécheresse polyrythmique des Gnawas, en ne s’interdisant aucun chemin de traverse rock.

Avec de tels atours, on pourrait craindre un parti-pris qui gomme les formes traditionnelles pour les faire coïncider avec un bavardage globalisé sans grande saveur. Mais la fougue d’Espinoza et sa dimension spirituelle chassent en quelques mesures toute forme d’opportunisme. Il a manifestement étudié la tradition africaine, notamment congolaise (cf Congo Evidence, 2006). Après avoir visité une musique hybride aux sages destinées, c’est à l’occasion d’un remarquable album enregistré en 2008 avec le poète Amiri Baraka (Akendengue Suite) que la formation de Grechi Espinoza a muté. Elle s’est libérée d’un jazz plutôt traditionnel pour verser avec fougue dans un propos sans limites. Dinamitri a ainsi pu exposer son idée du folklore qui, s’il n’est pas imaginaire, est suffisamment nomade pour incarner un territoire fantasmé. Le meilleur exemple est ici « Acqua », où semblent se croiser, dans un échange entre Espinoza et le violoniste Emanuele Parrini échappé du magma de l’orchestre, l’Art Ensemble of Chicago et Fela Kuti.

Nomade pour nomade, c’est à la musique touareg que La società delle Maschere, ce quatrième album, est dédié, et notamment « Bashir » chanté par Piero Gesuè, où Espinoza colore d’Afro-Beat une rythmique impeccable. On doit cette base impavide au batteur Andrea Melani et au percussionniste Simone Padovani, auxquels s’ajoutent les claviers bâtisseurs de Pee Wee Durante, remarquable à l’orgue Hammond. Avec l’acrimonieux guitariste Gabrio Baldacci, déjà aperçu dans le Cosmic Band du tromboniste Gianluca Petrella, ils sont le socle d’une musique emplie de mysticisme qui va chercher l’urgence au cœur même de l’orchestre.

Explorant chaque élément dans un morceau dédié, de « Terra » (la terre) à « Aria » (l’air), le Dinamitri exploite une énergie débordante faite de cycles répétitifs où la force collective de l’ensemble prend le pas sur les solistes. Ainsi, sur « Fuoco », la dynamique d’ensemble, poussée dans ses retranchements par le jeu chaleureux de Beppe Scardino au saxophone baryton, est le véritable moteur d’un orchestre bouillonnant. La società delle Maschere nous emporte dans son monde avec un enthousiasme communicatif. On s’y installe en nomade devenu sédentaire, le temps d’un disque.