Chronique

Louis-Michel Marion & Emilie Škrijelj

Mokkô

Emilie Škrijelj (acc), Louis-Michel Marion (b)

Label / Distribution : Auto Productions

Enregistré à La Menuiserie, à Mancieulles, un village ouvrier de Lorraine aux confins du Luxembourg, marqué par l’histoire industrielle de la région, Mokkô est à la fois le contenu et le contenant de ce présent disque. La musique et son environnement, puisque Mokkô en japonais signifie menuiserie et que la contrebasse de Louis-Michel Marion est nourrie de la mémoire du bois, de sa capacité à craquer, à ployer, à vibrer et à chanter jusqu’à emplir totalement l’espace, tel un stentor à l’archet sur l’énorme « Intro ». Il ne faut pas penser cependant que l’album n’est fait que de volume ; comme tout travail du bois, il y a le gros œuvre et la dentelle, le rabotage et la finition qui se nourrit de détails, ce que l’on constate dans « Mo ».

Il faut d’ailleurs plus d’un outil pour parfaire l’ouvrage. A côté de Marion, capable aussi de tout petits reliefs, de furtives cordes claquées et de suaves caresses de la fibre, on découvre Emilie Škrijelj dont l’accordéon vient doubler le geste de l’archet, échancrer la matière, offrir de la douceur sans arrondir les angles. Entre les soufflets et la nacre, puisqu’il s’agit d’objets et de matières autant que de savoir-faire, on retrouve le bois, matière vivante, même façonnée. C’est lui qui communie dans l’échange entre les deux improvisateurs. Qui s’immisce dans le quasi-silence alors que les objets bondissent sur les cordes de Marion, qui guide le souffle de l’accordéon pour le faire sortir progressivement de son va-et-vient. Sur la pochette du disque, sobre objet de kraft qui rappelle aussi que le papier vient de la même fibre, est cité un texte de Franck Doyen, parlant des arbres qui « retournent lentement et partout à l’état sauvage, les moissons à l’abandon ».

Le jeu de Škrijelj laisse beaucoup de place au son et au geste : le cliquetis des touches, les souffles brisés voire haletants… La jeune femme est une découverte qui fait partie de la compagnie Azéotropes de Louis-Michel Marion. Originaire des Balkans, elle collecte par ailleurs les sons de l’ex-Yougoslavie et travaille avec d’autres membres de la compagnie à une lecture de Mikrokosmos de Bartòk (Les Explorateurs). Elle défend ici avec le contrebassiste une approche très poétique de la matière vivante et de ses ramifications. La meilleur façon de rendre hommage aux arbres.

par Franpi Barriaux // Publié le 19 mai 2019
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