Tribune

Disparition de Tirso Duarte (1978-2023)

L’Ange Noir de la Timba Cubaine assassiné en Colombie.


Comme souvent en pareil cas, la très sulfureuse réputation de l’artiste avait précédé sa présence. La curiosité restait pourtant plus forte que la rumeur et les réticences.

Tirso Duarte, Théâtre Apollo, 25 avril 2012. © Pierre Vignacq

Printemps 2012 : Que pouvait bien produire la rencontre de la Mecánica Loca, phalange rassemblant la quintessence régionale des jazzmen portés sur le versant latin de leur musique de prédilection, et du Cubain Tirso Duarte, par ailleurs qualifié de « génie », peu importe qu’on évoque le chanteur, le compositeur, l’arrangeur, le pianiste, ou la bête de scène ?
Quelques jours en résidence pour produire un album qui se révèlerait bientôt grandiose, une vaste tournée en vue, mais maintenant la scène, la première, la vérité. Son corollaire : le doute. Son antidote : le travail, jusqu’au bout. Plus de quatre heures durant, sans pause, sans répit, se révèle une facette beaucoup moins médiatique du Maestro : l’intégralité du répertoire est mise à nu, chaque détail des chœurs est disséqué, répété, adapté, mémorisé, chaque phrase des scores des cuivres est testée, crayonnée, rejouée encore jusqu’à l’épuisement, jusqu’à tutoyer une perfection probablement rêvée, sans doute illusoire, mais aussi vitale que si le courroux de tout le panthéon des Orishas en dépendait.

Quasiment sans interruption, la répétition bascule dans plus de deux heures de concert. La transe est là. Le Son est là. Le génie de l’arrangeur a fait sien le souvenir de sa collaboration avec le grand José Luis Cortés, El Tosco, et de Los Metales Del Terror, les cuivres légendaires de NG La Banda. Les souvenirs se gravent, durables.

Ce 29 septembre 2023, Tirso Duarte, compositeur, arrangeur, chanteur et pianiste de génie, probablement rattrapé par ses démons, a été retrouvé assassiné dans une rue de Tumaco en Colombie. El Timbero Mayor ne chantera plus ni Cali ni les amours perdues. En ajoutant son nom à la trop longue liste des Bix, Chet, Billie, Lester, Bird, Beny Moré et autres Hector La Voe, il nous laisse une fois de plus face à l’incompréhension de l’abyssale et récurrente propension à entrer dans la légende par le plus sombre des couloirs.
Excluons d’emblée, je vous en prie, que la camarde puisse apprécier la musique…