Scènes

Jazz en mars 2020, chorus interruptus


Stoppé net par les prémices d’un premier confinement, le festival de Tarnos attendra 2022.

Le festival Jazz en mars de Tarnos est de ceux qui font rêver les organisateurs en affichant salle comble des semaines avant l’évènement, avec une insolente régularité. Le secret ? La confiance au long cours entre une municipalité proactive et un infatigable directeur artistique. Arnaud Labastie, pour le nommer, cumule sans vergogne les fonctions de programmateur, directeur de l’école de musique, pianiste au swing ravageur, et depuis toujours la conviction qu’un public ça s’éduque, si possible depuis les bancs de l’école, fût-elle communale et de musique.

On s’est déjà longuement étendu sur cette année d’annulations de concerts, pourtant, ici c’est au beau milieu du festival que la sanction préfectorale est tombée sans crier gare, à l’issue d’une seconde et méritoire soirée, alors même qu’on s’apprêtait à accueillir un big band et se réjouissait par avance de la montée en puissance à venir. « Désolé, m’sieurs dames, la jauge dépasse le maximum autorisé, tout le monde rentre à la maison. Rendez-vous l’année prochaine ».
Dur. Très dur pour des bénévoles qui travaillent souvent toute une année durant pour leur évènement.

La nouvelle vient de tomber, après une longue réflexion, l’édition 2021 vient d’être annulée face aux incertitudes d’une crise sanitaire persistante. Quelques concerts au fil de l’année feront de leur mieux pour maintenir la flamme, stimuler la patience, et tempérer les frustrations.
Courage et solidarité. Nous reviendrons.

Philippe Duchemin ; Scott Hamilton

Cette année, en mars 2020, j’ai assisté à deux concerts, mis en images dans ce photo reportage. Le duo Scott Hamilton, saxophone ténor et Philippe Duchemin, piano.
Ce duo, pour autant que l’improvisation soit conviée, a tôt fait de tourner à la rencontre d’équilibristes. Que les protagonistes n’en soient pas à leur coup d’essai ne saurait occulter la brièveté d’une répétition laissant tout au plus le temps de décider des thèmes et du tempo. Le reste est un pari sur le talent, la créativité, et l’envie de partager avec le public le bonheur de rares retrouvailles. Duo gagnant ce soir. Sur tous les plans.

Puis le Dmitry Baevsky Quartet qui invite Rita Payés : voila quelques années maintenant que Dmitry Baevsky n’avait plus paru sur les scènes de la région. De ces multiples passages, nous gardions du jeune prodige russe le souvenir de spectaculaires saillies parkériennes, aussi flamboyantes qu’autoritaires, dont quelques rencontres backstage nous avaient révélé de quelle studieuse abnégation elles étaient le fruit.
Le Baevsky 2020 nous est apparu beaucoup plus nuancé. Presque discret. Facile sans doute d’évoquer la maturité de l’artiste, mais tout laisse à penser que, tout ayant déjà été prouvé, plus rien ne s’oppose à laisser libre cours à une sensibilité qui depuis longtemps ne demandait qu’à s’exprimer. Et quelle plus belle occasion pour ce faire que cette invitation à Rita Payés qui nous a révélé un remarquable sens du contrepoint.

Rita Payés ; Fabien Marcoz ; Dmitry Baevsky ; Bernd Reiter

Car il faut bien le reconnaître : briller, la Catalane n’en a que faire. Au trombone, elle fait sa musique, sans éclats superflus mais parsemée d’envolées aussi délicates que véloces qui lèvent toute ambiguïté sur la marge technique dont elle dispose. On se surprend à évoquer d’anciennes mémoires de Bill Watrous… Son chant évoque aussi les mêmes souvenirs : pas le moindre penchant pour l’exhibition, l’émotion est là, naturelle, au service du thème. Mention spéciale pour les bossas. Habitées.
Ces frissons qui parcourent l’échine du public découvrant la jeunesse et la personnalité d’une telle créativité, poussent au questionnement. Face au nombre d’individualités authentiques qu’il révèle année après année au travers de l’école municipale de musique de Sant Andreu et du big band éponyme, aux antipodes des stéréotypes issus des « usines à solistes » américaines, sans doute faudra-t-il vraiment se pencher sur le fond de la pédagogie de Joan Chamorro et non plus se contenter de l’évoquer comme une exception locale et miraculeuse.