Chronique

Duane Eubanks Quintet

Things of That Particular Nature

Duane Eubanks (tpt, fgh), Abraham Burton (sax), Marc Cary (p), Dezron Douglas (b), Eric McPherson (d), Steve Nelson (vib).

Label / Distribution : SunnySide Records

Duane Eubanks a joué au sein du big band de Dave Holland (avec qui il a partagé deux Grammy) et collaboré, entre autres, avec Mulgrew Miller, Talib Kweli et le Wu Tang Clan. Il revient, plus de dix ans après, avec un album très personnel. Son travail de composition n’a pas cessé entre-temps, mais il a pris le temps nécessaire pour confectionner un album d’excellente qualité.

Parmi ses influences, Eubanks cite tout d’abord son propre père, dans le titre même de l’album, en référence à une des ses expressions habituelles. Mais c’est aussi grâce à son passé éclectique que ressortent les tonalités originales, voire versatiles de cet album. En effet, le trompettiste a également œuvré aux côtés de musiciens issus d’horizons très différents (Alicia Keys, Mos Def, The Temptations…) ; « Rosey », par exemple, exprime un style qui s’est enrichi de ces expériences : le groove subtil du Fender Rhodes de Marc Cary est introduit par la contrebasse maîtrisée de Dezron Douglas, sur lequel un rythme aérien, libéré et presque soul accompagne les licks de Duane Eubanks et d’Abraham Burton. C’est aussi le cas de « Dance With Aleta » et ses découpes rythmiques savamment orchestrées qui viennent appuyer un chorus mélodique enthousiaste, parfumé de délicates notes pianistiques.

Le quintet est très souple, et les échanges somptueux. « Purple, Blue And Red » est emblématique de la complémentarité des musiciens. Débutant par une lente progression à la manière d’une ballade, légère et profonde à la fois, pour se transformer en up-tempo nonchalant porté à son paroxysme par les phrases de Eubanks et Burton, c’est un véritable témoignage d’altruisme musical. C’est aussi un moment de partage avec l’auditeur, qui y perçoit la sincérité avec laquelle l’album a été composé et enregistré. « Anywhere’s Paradise », qui s’ouvre sur les notes graves de Dezron Douglas et celles, aiguës, de Marc Cary, est inédit ; il n’a même jamais été joué en public. Quant à « Slew Footed », il débute par une batterie seule et inventive, que Duane rejoint pour s’envoler de note en note autour d’un thème enjoué. Après une rupture quasi syntaxique, la contrebasse accélère et ralentit alternativement pour donner un nouvel élan, sur lequel vient trôner le saxophone d’Abraham Burton.

Le quintet devient sextet sur « Holding Hands », seul morceau de l’album qui ne soit pas né de la plume inventive de Duane Eubanks : il est signé Mulgrew Miller. Cet hommage sensible au pianiste décédé en 2013 (qui devait, à l’origine, participer à cet album) s’ouvre sur le vibraphone raffiné et éthéré de Steve Nelson ; un ensemble fragile et sensible suit, dans un équilibre parfaitement contrôlé, pour une performance où pudeur et respect se mêlent à une grande richesse harmonique.

Chaque titre est une référence à la vie personnelle de Duane Eubanks : « Purple, Blue And Red » sont les couleurs préférées de sa femme et de ses enfants ; « Dance With Aleta » a pris forme grâce au souvenir d’une danse avec sa femme ; le dernier titre,« P », est l’initiale du prénom de son fils… Things of That Particular Nature est un album plein d’émotion mais qui ne tombe ni dans le théâtralisme surinterprété, ni le pathos ostentatoire. Les musiciens sont manifestement sincères, et le passage de l’idée à l’écriture ne semble pas avoir souffert d’un changement de paradigme : les notes deviennent des idées et les morceaux des vies.