Entretien

Fabrice Martinez

De Jacques Higelin et Tony Allen en passant par Alpha Blondy ou l’Ensemble Nord Sud, le jeune trompettiste éclectique du Sacre du Tympan et de Chut les chiens ! retrace son parcours récent.

- Fabrice, c’est pratiquement la première fois que vous venez présenter votre musique à Charleville-Mézières depuis que vous êtes installé à Paris. Pouvez-vous résumer votre cheminement professionnel pendant ces années ?

Je suis parti vivre à Paris en 1992. Là, avec deux amis, nous avons créé « Qui sème le vent », un Marching Band jazz funk dans le style des « Dirty Dozen ». Aujourd’hui, le saxophoniste joue avec Lenny Kravitz et le tromboniste travaille dans la production musicale. Le 18 octobre 2010, on a fait notre retour sur la scène au Zénith à Paris pour les 70 ans de Jacques Higelin. Après « Qui sème le vent » (QSV), je suis parti six ans en tournée internationale avec Sergent Garcia, une magnifique expérience des grandes scènes. Ensuite, je suis revenu à l’improvisation sur scène, notamment avec Tony Allen, et Le Sacre du Tympan dont je fais partie depuis sa création en 1998 (un nouvel album est prévu pour début 2011). Aujourd’hui j’ai trouvé un certain équilibre : d’une part les grandes scènes internationales avec Alpha Blondy et la musique improvisée dans « Chut les chiens ! », mes remplacements dans le MegaOctet d’Andy Emler (par exemple au nouveau festival « Jazz à la Tour », en Provence, en août 2010), le groupe « Z » ou encore l’ensemble Nord Sud.

Fabrice Martinez © Dominique Rieffel

- « Chut Les Chiens » est un projet dont vous êtes à l’initiative. La musique est difficile à définir, au confluent de plusieurs genres. Pouvez-vous essayer d’expliquer votre démarche ?

Je n’ai pas de concept. J’écris ce qui me vient, nourri bien entendu par mon parcours et mon expérience. Je ne veux pas m’imposer de limites dans ce groupe. Être avec des gens que j’aime et prendre du plaisir : c’est tout ce qui m’intéresse.

- On retrouve dans « Chut les Chiens » Fred Escoffier, et très souvent en invité Stéphane Bartelt, tous deux originaires de Charleville et compagnons de longue date. Pourquoi ce choix ?

Nous sommes liés à jamais par notre parcours de 1985 à 1990. On a connu nos premières scènes ensembles et on défendait déjà notre musique (Fred partage avec moi les compositions de Chut). Stéphane Bartelt comme Fred Escoffier ont leur propre style, ils sont uniques. C’est cela aussi, au-delà des affects, qui me séduit aujourd’hui encore.

- Eric Echampard est relativement nouveau dans la formation. Qu’a-t-il apporté au groupe ?

J’aime beaucoup la batterie et je suis devenu très difficile au fil du temps quant à la qualité de ce poste. Je connaissais le talent d’Eric, mais il y a un an, lors de notre rencontre avec Andy Emler, j’ai craqué sur le jeu de ce garçon. Il est solide, inventif et toujours concentré au maximum dans la musique. C’est un bonheur pour moi de l’avoir, d’autant qu’il est très demandé sur la scène européenne.

Eric Echampard © Dominique Rieffel

- Islam Zian Alabdeen associe souvent sa performance « picturale » aux concerts de « Chut les Chiens ». Comment est née cette rencontre, et pourquoi cette volonté d’associer musique et peinture ?

Islam est un ami de longue date : on se connaît depuis vingt ans. Je l’ai vu arriver en France quand il fuyait son pays. Pour autant, je ne mélange pas tout : c’est un ami, un formidable peintre, très productif. Faire une toile intéressante en une heure est une compétence rare ! La transversalité des arts m’intéresse et permet à notre musique imagée de donner à l’auditoire un sentiment de bien-être en regardant la toile se construire.

- Le concert de Charleville s’est déroulé dans des conditions acoustiques difficiles. Un des principes de la « Nuit Blanche » est de proposer des manifestations culturelles dans des lieux insolites. L’acoustique du Temple Protestant n’était guère adaptée à ce style de musique. Finalement, une fois le public en place, vous vous en êtes très bien tirés. Avez-vous modifié votre prestation pour vous adapter au lieu ?

Photo © Dominique Rieffel

On doit toujours s’adapter, de toute façon ; là, ce n’était pas facile mais le public a aidé à l’absorption de la réverbération naturelle du lieu. Dans ce type de musique, il faut s’entendre parfaitement pour créer suffisamment d’interaction, et ce n’était pas toujours idéal, surtout dans les tempi rapides ; mais on s’en est bien sortis grâce au public ardennais qui s’est déplacé en nombre !

- Depuis quelques années, Charleville Action Jazz organise (en accord avec Dominique Tassot, responsable du département Jazz et Musiques du Monde) des résidences de musiciens sur des périodes de deux ans auprès du Big Band du CRD (ex ENMD ). Vous prendrez en 2011 la succession de Nicolas Folmer, qui a lui-même succédé à Pierre Vaiana, Jef Sicard et Sylvain Kassap. Quel effet cela vous fait de retrouver dans ces conditions un Big Band que vous avez pratiquement vu naître, et quels sont les axes pédagogiques que vous avez envie de développer ?

Je me réjouis de retrouver le Big band où j’ai fait mes premières armes, au départ comme trompettiste et même ensuite, parfois, à la baguette. J’ai appris à lire mes premiers « scores d’orchestre » avec cet ensemble. Cela m’a beaucoup servi pour la suite. Il y a quelques années, j’ai créé un Big Band à Paris, qui joue toujours mais que je ne dirige plus. J’ai aujourd’hui pas mal d’expérience pédagogique de groupe et j’ai aussi beaucoup joué au sein de ce type d’orchestre. J’aimerais bien sûr leur transmettre mes acquis mais aussi goûter au Sound Painting, à l’improvisation et, peut-être, si Fred Pallem est d’accord, travailler un peu du répertoire du Sacre…

- Quelles sont vos autres activités musicales à l’heure actuelle ?

Cette année je suis en résidence à Montélimar sur un projet d’orchestre autour du Sound Painting. Également en résidence à la Dynamo (Pantin) dans un projet avec Thomas de Pourquery sur la musique de Sun Ra. Ce projet devrait faire l’objet d’une résidence à « Jazz sous les pommiers » en 2011. J’ai joué en novembre à la maison de la Radio avec le MegaOctet d’Andy Emler, Elise Caron et l’Ensemble Archimusic pour une création d’Andy, « Présences d’Esprits », sur une commande du festival « Présences ». Plusieurs sorties de disques également : l’ensemble Nord/Sud en novembre ; le Sacre du Tympan, le groupe Z et Chut les Chiens ! en préparation. Je souhaite vraiment enregistrer cette année avec cet ensemble : j’ai commencé à écrire et vous avez même goûté à un tout nouveau morceau lors du concert. J’ai aussi une activité d’enseignant au sein du Conservatoire du XXe arrondissement de Paris et à Clichy-la-Garenne, qui m’occupe beaucoup…

Je vais également participer cette année au projet du Collectif de Mr Florent, une bande de jeunes surdoués du classique récompensés de prix internationaux qui font appel à Eric et à moi pour de belles rencontres aux frontières du classique et de la musique improvisée. Enfin, cela est tout neuf et pas encore totalement décidé… À suivre donc ! et j’espère pas « à dans vingt ans » !

par Patrice Boyer // Publié le 4 janvier 2011
P.-S. :


Entretien réalisé à Charleville-Mézières par Patrice Boyer dans le cadre de Charleville Action Jazz suite au concert de Chut les Chiens ! donné le 2 octobre 2010.